(Québec) Les partis de l’opposition affirment que Québec crée une « grande injustice » en procédant à une réforme du régime d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) qui ne permet pas aux victimes de crimes non admissibles jusqu’à maintenant, mais qui le seraient une fois le projet de loi adopté, d’obtenir une indemnité pour les violences qu’elles ont subies.

Les députés étudient cette semaine le projet de loi 84, déposé en décembre dernier par le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, qui procède à une réforme historiquement réclamée de l’IVAC. Cette modernisation du régime prévoit d’abolir la liste des infractions admissibles, jugée désuète, pour y admettre à l’avenir tous ceux qui sont victimes de crimes contre la personne.

Or, Québec ne prévoit pas une mesure rétroactive qui permettrait à une victime d’un crime qui n’était pas admissible à l’IVAC d’obtenir une indemnité une fois le projet de loi adopté. C’est le cas entre autres de Lau Ga (nom fictif), une survivante d’exploitation sexuelle, qui s’est confiée jeudi à la chroniqueuse Rima Elkouri de La Presse. Mme Ga témoignait jeudi en commission parlementaire.

Pour cette femme dans la vingtaine, cette façon de procéder est « sans cœur », a-t-elle affirmé au terme d’un témoignage en audio seulement, afin d’assurer sa sécurité.

« Je ne peux pas refaire le passé. Par contre, il y a une chose qu’on peut faire en adoptant le projet de loi, c’est de faire en sorte que les crimes qui n’étaient pas couverts [le soient] désormais, dont celui de l’exploitation sexuelle », a affirmé le ministre Jolin-Barrette en commission.

L’opposition réclame de la souplesse

La députée libérale Christine St-Pierre, qui a coprésidé la commission parlementaire transpartisane sur l’exploitation sexuelle des mineurs, peinait à contenir sa colère, jeudi.

« Je n’en reviens pas. […] Montréal est la plaque tournante de l’exploitation sexuelle. On commande des filles comme on commande des pizzas. Une victime d’exploitation sexuelle qui va prendre tout son courage à deux mains, qui va aller dénoncer ses agresseurs [avant l’adoption du projet de loi], on va lui dire [qu’elle n’est pas admissible à l’IVAC] parce qu’il n’y a pas de mesure rétroactive pour celles qui ont mis leurs tripes sur la table ? C’est écœurant ! Je suis hors de moi », a-t-elle dit.

« On pourrait envisager plusieurs options, soit de prévoir une rétroactivité d’un certain nombre d’années, ou de dire que la rétroactivité s’applique à partir du moment où c’est devenu un acte criminel. J’espère vraiment que le ministre aura de l’ouverture. Sinon, ça envoie le message aux personnes dans cette situation-là qu’elles doivent attendre que le projet de loi soit adopté pour aller chercher de l’aide », a dénoncé à son tour la députée solidaire Christine Labrie.

« Québec devrait reconnaître les victimes à partir [de l’année où un crime est] devenu une infraction au Code criminel et les soutenir en conséquence », a poursuivi la députée péquiste Véronique Hivon.

Québec se défend

Au cabinet du ministre Simon Jolin-Barrette, on a rappelé jeudi que « c’est une somme de 193 millions de dollars sur cinq ans qui sera investie pour la réforme de l’IVAC », un montant qui vient « bonifier le régime le plus généreux au Canada, toutes provinces réunies ».

Le cabinet a également rappelé que M Jolin-Barrette reconnaît que « la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels est parfois un régime injuste, très dur pour ceux et celles qui ne cadrent pas dans la définition stricte et étroite de victime ».

« Aujourd’hui, je veux saluer le courage de tous les survivants et toutes les survivantes qui se battent depuis plus de 30 ans pour un IVAC plus humain. Votre combat n’a pas été vain, et c’est en raison de votre force et de votre ténacité que l’État québécois amorce aujourd’hui une transformation de son approche vis-à-vis des personnes victimes », a-t-il déclaré.

Québec estime que le projet de loi 84 permettrait de venir en aide à 4000 personnes victimes supplémentaires annuellement.