Jane Doe* avait 12 ans lorsqu’elle a été agressée sexuellement. Une scène d’horreur filmée, puis diffusée des années plus tard sur Pornhub, site phare de la société montréalaise et géant mondial de la pornographie MindGeek. Cette Ontarienne est la représentante d’une demande d’action collective de 600 millions de dollars déposée au palais de justice de Montréal.

Après avoir découvert grâce à une connaissance la vidéo de son agression sur Pornhub en janvier 2020, la jeune femme maintenant adulte affirme en avoir demandé le retrait au moyen d’un formulaire. Une demande toutefois restée lettre morte. Loin d’être un cas isolé, le récit de Jane Doe fait écho à de nombreux témoignages troublants rapportés en décembre dernier dans une enquête-choc du New York Times.

Plongé dans la tourmente, le géant de la pornographie en ligne est accusé depuis d’avoir toléré sur ses nombreux sites web de la pornographie juvénile, des vidéos d’agressions sexuelles et du matériel sexuel obtenu et diffusé sans le consentement des participants.

Ces révélations ont suscité un tollé au sein de la classe politique canadienne et de la société civile, ce qui a poussé MindGeek à retirer des millions de vidéos et à limiter la publication de contenu. La société fait depuis l’objet d’actions judiciaires aux États-Unis, et maintenant au Canada.

« MindGeek savait que ses sites web hébergeaient du matériel non consensuel, incluant des images d’abus sexuel d’enfants, ainsi que des images intimes d’adultes n’ayant pas consenti à la dissémination publique de ce contenu », plaide-t-on dans la requête déposée en Cour supérieure du Québec le 29 décembre dernier.

La requérante réclame ainsi 500 millions de dollars en dommages pour tous ceux dont l’image intime a été publiée sans leur consentement sur un site web de MindGeek depuis 2007. Cela inclut la pornographie juvénile, les agressions sexuelles et les images intimes non consensuelles, précise-t-on dans la requête. À cela s’ajoutent 100 millions en dommages punitifs.

La discrète société installée boulevard Décarie à Montréal savait qu’il existait un « risque élevé » que du contenu sexuel soit mis en ligne sur ses sites web sans le consentement des participants, allègue la requête.

Néanmoins, MindGeek n’a pris « aucune mesure » pour éviter que cela se produise et a plutôt « monétisé ces images et vidéos non consensuelles à son profit », ajoute la requérante.

La requête rappelle que des médias britanniques ont révélé dès 2019 que des douzaines de vidéos d’agressions sexuelles d’enfants étaient facilement accessibles sur Pornhub. Ce n’est toutefois qu’en décembre 2020, sous pression à la suite de l’enquête du New York Times, que MindGeek a interdit aux utilisateurs non vérifiés de mettre en ligne du contenu sur Pornhub et retiré des millions de vidéos. En outre, jusqu’alors, tout le monde pouvait télécharger des vidéos directement du site web.

« MindGeek aurait dû prendre ces actions en 2007 pour s’assurer que du contenu non consensuel ne soit pas diffusé sur ses sites web », martèle-t-on dans la requête préparée par le cabinet Siskinds Desmeules.

En plus de n’avoir eu aucune politique pour enquêter sur le contenu de ses utilisateurs jusqu’en 2019, MindGeek n’a pas employé suffisamment de modérateurs pour vérifier les vidéos de trafic sexuel, de viol et de pédopornographie sur ses sites web, plaide-t-on.

Avant de trancher le fond du litige, un juge de la Cour supérieure devra d’abord autoriser l’action collective. Il pourrait ainsi s’écouler quelques années avant que les membres de l’action collective soient indemnisés, le cas échéant, à moins d’un règlement rapide.

La société montréalaise fait aussi l’objet d’une poursuite de 40 millions de dollars en Californie. Des femmes soutiennent qu’un partenaire de MindGeek, le site web GirlsDoPorn, a forcé des femmes à apparaître dans des vidéos pornographiques.

* Nom fictif inscrit dans la requête pour protéger l’identité de la représentante