Une femme qui a volé sa mère en s’appropriant puis en revendant son duplex de Laval à son insu vient d’être condamnée par le Tribunal des droits de la personne à lui rendre 615 000 $. La victime, une veuve aujourd’hui âgée de 92 ans, a été sauvée des griffes de sa fille après des années d’exploitation. Décharnée, dépouillée et sans le sou.

« À partir du moment où Sibil [Seferyan-Taylor] s’est installée chez sa mère en septembre 2018, au lieu de veiller à son bien-être, elle a plutôt exercé un contrôle de tous les instants sur cette dernière et l’a dépossédée de tous ses avoirs », résume Ann-Marie Jones, présidente du Tribunal des droits de la personne.

La femme âgée, qui est veuve, a été secourue le 9 juillet 2019, alors qu’un camion de déménagement était à sa porte.

« En état de panique, [elle] répète qu’elle ne comprend pas ce qui lui arrive, peut-on lire dans le jugement. Elle dit que des hommes lui volent ses meubles, qu’elle a tout perdu et qu’il ne lui reste plus rien. »

Elle confirme qu’elle part pour la Floride avec [sa fille] Sibil, que c’est contre son gré, et fait des gestes apeurés craignant que sa fille l’entende.

Extrait du jugement du Tribunal des droits de la personne

Sake Bayzar Mavyan-Seferyan, qui pesait 68 kg en mars 2018, n’en pèse alors que 36.

Plan de longue haleine

Sibil Seferyan-Taylor a commencé à tout mettre en place en septembre 2018. Elle emménage alors chez sa mère, après avoir chassé de là sa propre fille qui a habité chez sa grand-mère la plus grande partie de sa vie. La jeune fille « doit même venir chercher ses effets personnels assistée de la police », évoque le jugement.

Les serrures sont changées. Les visites sont interdites au fils de Mme Mavyan-Seferyan.

Sibil se rend chez un premier notaire pour faire modifier le mandat de protection en cas d’inaptitude de sa mère afin d’en devenir la seule mandataire (et que soit exclu son frère).

Sibil souhaite aussi acheter le duplex de sa mère au prix dérisoire de 250 000 $. Avant de procéder, le notaire exige qu’un médecin déclare la femme âgée apte à consentir à de telles transactions. Elle se tourne alors vers d’autres notaires.

De l’un, elle obtiendra l’acte de vente du duplex (à 350 000 $, 100 990 $ sous la valeur inscrite au rôle d’évaluation foncière). Le document notarié prévoit un don « irrévocable et inconditionnel » de 175 000 $ de la mère à la fille, tandis que le solde de 175 000 $ devra ultérieurement être versé à la mère, qui conserve par ailleurs un droit d’usage. D’un autre notaire, Sibil obtient d’être la seule mandataire de sa mère en cas d’inaptitude.

« Mais sa cupidité ne s’arrête pas là », peut-on lire dans la décision au sujet de Sibil.

La mère et la fille ont un compte conjoint. Le 18 décembre, Sibil en retire 175 000 $, soit le montant du chèque déposé pour le paiement de son solde. Elle investit alors cette somme dans un certificat de placement garanti, à son propre nom.

En décembre 2018, Mme Mavyan-Seferyan reçoit un diagnostic de démence modérée et son médecin conclut « à une situation d’abus physique et psychologique de la part de sa fille. Inquiet, il la réfère en urgence au programme régional ambulatoire de gériatrie ».

Deux mois plus tard, Mme Mavyan-Seferyan dira aussi au travailleur social au dossier que sa fille « la frappe régulièrement sur la tête et dans le dos ».

Un contrôle au-delà des frontières

Au printemps 2019, le fils de Mme Mavyan-Seferyan intente un recours en Cour supérieure et obtient que sa mère soit hébergée chez lui. Le jugement ne pourra pas être exécuté : encore une fois, elle avait été amenée en Floride par sa fille, une administratrice de condos là-bas.

Le 8 juillet 2019, le duplex est vendu à un tiers pour la somme de 565 000 $, avec une clause stipulant que Mme Mavyan-Seferyan renonce à tous ses droits sur la propriété.

« Une fois le duplex vendu, Sibil décide de retourner en Floride et d’y déménager les meubles de sa mère. »

L’ensemble de salle à manger, un vaisselier, des tapis de Turquie, un ameublement de chambre à coucher de style Louis XIV « meublent maintenant les immeubles en copropriété que Sibil administre en Floride », énumère Ann-Marie Jones, présidente du Tribunal des droits de la personne.

Dans ses notes, le travailleur social qui réussira à voir Mme Mavyan-Seferyan le 9 juillet écrira que « selon les faits observés », « Sibil avait l’intention “d’enlever” Madame contre sa volonté en Floride », compromettant ainsi sa sécurité.

Mme Mavyan-Seferyan sera transférée d’urgence dans une résidence privée pour aînés. Elle finira avec une dette de 34 000 $ envers le Curateur public, en raison notamment du non-paiement de ses frais d’hébergement.

« Atteinte grave à ses droits fondamentaux »

« N’eût été cette dilapidation en règle de son patrimoine, elle aurait manifestement pu bénéficier de soins à la hauteur de ses besoins croissants » dans une résidence pour personnes âgées arméniennes, comme elle le souhaitait, peut-on lire dans le jugement.

« L’exploitation dont a été victime Mme Mavyan-Seferyan par sa propre fille constitue un affront à sa personne et une atteinte grave à ses droits fondamentaux », conclut le jugement.

Sibil Seferyan-Taylor est condamnée à payer 585 000 $ à sa mère à titre de dommages matériels, en plus de 25 000 $ à titre de dommages moraux et de 5000 $ à titre de dommages punitifs.

En raison de l’âge avancé de Mme Mavyan-Seferyan, l’exécution provisoire de la décision est ordonnée, tout appel potentiel risquant de lui causer un « préjudice sérieux, voire irréparable ».