Un futur avocat qui a transmis à un réseau de fraudeurs les informations confidentielles d’une dizaine de clients de la Banque Nationale a bénéficié mardi d’une absolution inconditionnelle pour lui permettre de pratiquer le droit. Une peine clémente qui découle de la divulgation tardive par la Banque Nationale d’une preuve « centrale » à cette affaire.

Nathaniel Thomas, 35 ans, a plaidé coupable mardi à une accusation par voie sommaire de trafic de renseignements identificateurs. Son procès de quelques jours prévu cet automne est tombé à l’eau lorsque la Couronne a appris in extremis l’existence d’éléments de preuve « entre les mains de la Banque Nationale » qui n’avaient été divulgués ni à la Sûreté du Québec (SQ) ni au ministère public.

Il faut savoir qu’une partie de la preuve de la poursuite reposait sur l’enquête interne menée par la Banque Nationale.

« Malgré la diligence de la SQ et de nous-mêmes en faisant des demandes répétées, nous avons appris à la veille du procès l’existence d’une preuve qui est assez centrale dans cette affaire, et qui, nous croyons, pourrait avoir une influence sur l’issue d’un procès », a expliqué la procureure de la Couronne MBianca Catherine Rossi.

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Me Bianca Catherine Rossi, procureure de la Couronne

Ni le contenu de cette preuve ni les motifs expliquant sa divulgation tardive n’ont été dévoilés devant le juge Robert Marchi, mardi.

« La Banque Nationale collabore pleinement avec les services policiers. Dans le cas présent, la Banque a collaboré, tout au long de l’enquête, avec les enquêteurs et s’est assurée de leur transmettre toute la documentation relative à l’ex-employé », a commenté par courriel Jean-François Cadieux, porte-parole de la Banque Nationale.

Captures d’écran de profils de clients

Nathaniel Thomas a travaillé au service d’expertise légale de la Banque Nationale de 2016 à 2017. Sa tâche consistait à assister les notaires de la banque, en vérifiant par exemple les mainlevées et en faisant d’autres recherches, selon la preuve présentée à son enquête préliminaire.

Mais en catimini, Nathaniel Thomas a refilé à un réseau de fraudeurs des captures d’écran des profils de 10 clients de la banque. Date de naissance, numéro d’assurance sociale, employeur et diverses informations bancaires se sont ainsi retrouvés dans les mains de ces fraudeurs spécialisés dans le vol d’identité.

La Banque Nationale a identifié M. Thomas lors d’une enquête interne lancée à la suite de la découverte par les policiers de 25 profils de clients dans des appartements contrôlés par le réseau de fraudeurs. La Banque Nationale assure avoir « resserré les mesures d’identification de[s] 229 clients dont le profil avait été visionné par [son] ex-employé », a indiqué M. Cadieux.

Si les activités du réseau ont mené à une fraude d’au moins 600 000 $, les « agissements de M. Thomas » ne sont associés à « aucune perte directement », a précisé MRossi.

Futur avocat

Depuis les accusations, Nathaniel Thomas s’est largement repris en main et est devenu « un actif pour la société », a insisté son avocat, MPeter Georges Louis. Il a en effet terminé ses études en droit et il ne lui reste qu’à faire son stage professionnel pour obtenir le titre d’avocat. Un casier judiciaire « mettrait son avenir en péril », estime son avocat.

Nathaniel Thomas a également fait don de 20 000 $ à des établissements scolaires, dont la Fondation du Barreau, pour établir des bourses aux étudiants. Une preuve de son engagement social, selon le juge, qui a retenu la suggestion commune des avocats en imposant la peine la plus clémente du Code criminel. Néanmoins, le juge a souligné que ce « genre de comportement constitue un problème social important ».

Enquête sur le vol d’identité

Le futur avocat est le dernier des 15 accusés du réseau à clore son dossier devant les tribunaux. La plupart d’entre eux – aux rôles variés – ont écopé d’une peine d’emprisonnement. Démantelé par l’enquête Optique de la Sûreté du Québec, ce réseau se spécialisait dans le vol d’identité. Leur modus operandi était d’obtenir des identités, de fabriquer des pièces d’identité afin d’ouvrir des comptes et, finalement, de déposer de faux chèques pour retirer des fonds.

La Presse a révélé en 2019 que les enquêteurs avaient mis la main sur plus de 4000 profils de personnes dans une cache du réseau à LaSalle. « Chaque profil était classé dans une enveloppe distincte. Il y avait des pièces d’identité, de faux relevés d’emploi et de fausses factures pour établir une adresse. Dans chaque enveloppe, il y avait une identité volée », avait expliqué une enquêteuse à l’enquête préliminaire de Nathaniel Thomas.

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Fred Joseph, « tête dirigeante » du réseau de fraudeurs, en 2018

Fred Joseph, la « tête dirigeante » du réseau, a notamment été condamné à 40 mois d’emprisonnement. C’est lui qui contrôlait la planque où des « milliers d’items reliés aux fraudes, dont 400 cartes d’identité », ont été retrouvés. Il détenait également 1375 identités sur un disque dur. Son bras droit Mikhailov Saint-Louis a écopé de deux ans de pénitencier.