Après trois ans de bataille contre le régime d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), le père et la grand-mère d’un bébé de 10 mois secoué à mort en 2018 ont finalement été reconnus comme victimes d’un acte criminel. Alors même que sa fille vivait ses derniers instants, le père endeuillé était interrogé par les policiers.

Jusqu’à récemment, les parents d’un enfant assassiné devaient souvent se battre ainsi contre l’IVAC pour avoir droit à une indemnisation. Mais depuis la réforme en profondeur de l’IVAC, en octobre 2021, les parents d’un enfant décédé sont immédiatement considérés comme des victimes et ont ainsi droit à une aide financière. La nouvelle loi n’était cependant pas en vigueur dans ce dossier.

Dans la présente affaire, un bébé de 10 mois avait été retrouvé inconscient dans une garderie de Saint-Brigitte-de-Laval, au nord de Québec, le 1er mai 2018. Le procès de la gardienne du bambin, Katy Jomphe, accusée d’homicide involontaire, doit se tenir en février prochain.

Malgré leur diagnostic de choc post-traumatique et de trouble de l’adaptation, le père et la grand-mère du défunt bébé se sont d’abord vu refuser leur demande d’indemnisation comme victimes d’acte criminel. Mais en septembre dernier, la juge administrative Stéphanie Charette leur a donné raison.

Une décision qui va faire jurisprudence, malgré la nouvelle loi, selon MMarc Bellemare, qui a piloté la contestation. « C’est une première. Ça élargit encore plus la notion de victime, puisqu’ils n’étaient pas là lorsque le bébé a été secoué », explique-t-il en entrevue.

« Participation suffisamment étroite »

À son arrivée à l’hôpital, le père a vu sa fille sur une civière en train d’être réanimée. Il se sent alors « détruit », selon le jugement. En soirée, il apprend que sa fille présente des « symptômes du syndrome du bébé secoué » et « prend conscience que quelqu’un a fait du mal » à son bébé.

« La soirée est particulièrement éprouvante pour les parents. Pendant que leur fille est inanimée et que l’espoir s’amenuise, ils doivent faire face à l’interrogatoire des enquêteurs, pour qui ils sont les suspects du crime qui, [au bout du compte], coûtera la vie à leur bébé. À la détresse et l’impuissance s’ajoute la colère d’être privés des derniers instants de vie de leur enfant », relate la juge.

Aux yeux de la juge, le père a démontré une « participation suffisamment étroite au drame » pouvant expliquer ses blessures. « Il est le témoin impuissant des tentatives désespérées du personnel médical pour sauver son enfant et […] doit prendre la décision fatale et attendre la mort de son bébé, en le berçant. Tout ceci alors qu’il demeure un suspect du crime et est interrogé par les policiers », analyse-t-elle.

La grand-mère de l’enfant était également présente à l’arrivée de l’ambulance, en plus d’être exposée à la scène du crime et d’être interrogée par les policiers. Elle doit également être considérée comme une victime, selon la juge.

Les anciens critères de l’IVAC – alambiqués à souhait – limitaient l’indemnisation aux proches d’une victime ayant subi une blessure « en raison d’un acte ou d’une omission d’une autre personne et se produisant à l’occasion ou résultant directement de la perpétration d’une infraction ».

La nouvelle loi sur l’IVAC n’est cependant pas parfaite, selon MBellemare, puisqu’elle risque de créer cinq ans « d’incertitudes » en raison des nouvelles définitions de « victime ».