L’ancien directeur de l’Institut du Nouveau Monde, Michel Venne, a été condamné mardi à six mois de prison par le juge Stéphane Poulin, de la Cour du Québec. Une sentence « exemplaire », souligne la victime, la documentariste Léa Clermont-Dion, qui lance un message clair à tous les agresseurs. « Le bar n’est plus ouvert. »

Agression sexuelle : six mois de prison pour Michel Venne

Question : En tant que victime, comment avez-vous réagi à cette sentence ?

Réponse : Avec un sentiment mitigé. Je suis soulagée d’avoir été crue. Soulagée qu’il y ait une peine. Mais je ne me sens pas nécessairement à l’aise, c’est un drôle de sentiment. Ce n’est pas l’aboutissement, la sentence. C’est le processus qui a été réparateur. Mais cette sentence envoie un message fort, c’est une peine exemplaire. Il y a un message envoyé à la société : pour les agresseurs, le bar n’est plus ouvert. Le bar est fermé. Cette sentence est aussi importante parce qu’on arrête de banaliser les violences sexuelles. Ce n’est pas parce que ce n’est pas un viol que ce n’est pas important.

Cette sentence, est-ce le signe que le mouvement #metoo est en train de changer le système judiciaire ?

Oui, c’est certain. Il y a eu comme un effet domino. Salvail, Rozon, je les ai vus être dénoncés. J’ai vu des femmes comme Julie Snyder et Pénélope McQuade se lever. Sans elles, je n’aurais jamais parlé. La plainte, le verdict, ça fait en sorte que les mentalités sont en train de se transformer. Et le système judiciaire, pour bouger, il doit être critiqué de l’extérieur. Le mouvement metoo a un impact direct, sur les sentences et le processus.

Vous avez réalisé un documentaire, T’as juste à porter plainte, qui montre bien le long parcours des victimes. Si c’était à refaire, est-ce que vous porteriez plainte ?

Oui, je le referais. Le documentaire m’a permis de relativiser ce que je vivais. Je parlais à d’autres personnes. Je voyais que je n’étais pas la seule à me sentir comme de la merde dans certaines étapes du processus. J’ai vu qu’il y avait peut-être des façons de faire qui sont problématiques.

Quel a été le moment le plus pénible de ce parcours ?

Le contre-interrogatoire. J’avais l’impression de me noyer, je manquais d’air. Après deux jours et demi, je n’étais plus capable. Avec un cerveau engourdi par le stress, il faut que tu te prépares à l’examen le plus difficile de ta vie. J’ai trouvé ça atroce, inhumain, comme processus. C’était comme un cauchemar. Mais c’est comme un accouchement : on a mal, mais après, on oublie à quel point c’était souffrant.

Comment pourrait-on améliorer le contre-interrogatoire du point de vue de la victime ?

Il faut de la formation pour les avocats de la défense, notamment sur la question des traumas vécus par les victimes. Si les juges aussi sont plus au fait de tout cela, ils vont pouvoir prévenir certains dérapages. Je pense notamment à Annick Charette (la plaignante au procès de Gilbert Rozon) qui s’est fait traiter de fille délurée par l’avocat de la défense. La juge a dit que ça dépassait les limites, mais le mal était fait. Ça n’a pas lieu d’être.

Si vous faisiez face à une victime de 17 ans, l’âge que vous aviez au moment de l’agression, l’encourageriez-vous à porter plainte ?

Il faudrait qu’elle soit bien accompagnée, qu’elle ait un bon équilibre de vie. Si c’est une personne fragile, comme moi je l’étais à l’époque, je lui dirais de ne pas y aller. Parce que c’est le parcours du combattant. Mais j’espère aussi que les hommes de pouvoir qui s’en sont permis pendant des années vont faire un exercice d’introspection. Parce que ce ne sont pas seulement des attouchements sexuels dont on parle, c’est surtout un rapport de pouvoir très dérangeant.

Que pensez-vous de ce mouvement de dénonciation qui prend place sur les réseaux sociaux ?

Pour l’avoir fait, je comprends l’intention, qui est de vouloir se faire justice. C’est symptomatique d’un système qui est brisé. La voie des tribunaux est tellement lourde. Les réseaux sociaux, c’est instantané, c’est immédiat. L’impact est immense. Alors que la justice, c’est lent, ça se fait dans le silence et dans l’ombre. J’ose espérer qu’on pourrait finir par avoir un juste milieu.

Le documentaire T’as juste à porter plainte est disponible sur noovo.ca