Un système de santé au bord du précipice, des patients laissés à eux-mêmes et, surtout, de nombreuses morts évitables. Les opposants à la vaccination obligatoire du personnel de la santé ont insisté sur les conséquences « catastrophiques » du décret du gouvernement Legault, mercredi, dans une audience visant à en suspendre l’application.

« C’est une question de vie ou de mort ici », a plaidé MNatalia Manole devant le juge Michel Yergeau au palais de justice de Montréal.

L’avocate représente plus d’une centaine de travailleurs de la santé, dont des médecins, qui s’opposent à l’imposition de la vaccination obligatoire à partir du 15 novembre. Les soignants qui refusent de se conformer au décret seront mis en congé sans solde.

En date du 26 octobre, 18 462 travailleurs de la santé et des services sociaux n’étaient toujours pas adéquatement vaccinés, dont 13 331 qui n’avaient reçu aucune dose, selon le ministère de la Santé.

MManole réclame la suspension temporaire du décret jusqu’à ce qu’un juge tranche l’affaire sur le fond en janvier prochain. Elle soutient essentiellement que le décret va à l’encontre de l’objectif de la Loi sur la santé publique de protéger la santé de la population.

Retirer « 20 000 » personnes du système de santé mènera à une « situation catastrophique » en raison des ruptures de services, a répété l’avocate. « Ça va causer des décès, de la souffrance, des chirurgies annulées ou reportées, des rendez-vous avec des spécialistes annulés ou reportés. Ça va conduire à la fermeture de lits dans les CHSLD », a énuméré MManole.

Ça va coûter la vie des gens, littéralement.

MNatalia Manole, représentante de travailleurs de la santé opposés à la vaccination obligatoire

« Si le gouvernement a pris la mauvaise décision, il devra en répondre devant la population, pas devant le juge », a rappelé le juge Yergeau. À ses yeux, il ne doit répondre qu’à une seule question à cette étape. « Est-ce que le décret viole la Loi sur la santé publique ? Le reste, c’est une question d’opportunité et ça ne relève pas de moi », a tranché le juge.

Toutefois, les demandeurs n’ont pas fait la preuve d’une « implosion » ou d’un « cataclysme » dans le réseau de la santé, ont rétorqué les avocats du gouvernement. « Il n’y a pas de preuve que les usagers ne recevront pas leurs soins », a plaidé MFrançois-Alexandre Gagné.

Il faut d’ailleurs « présumer » à cette étape que la mesure du gouvernement a été « prise pour le bien-être, malgré les effets hypothétiques sur les soins », a ajouté MStéphanie Garon, du Procureur général du Québec. D’autre part, la vaccination demeure « la solution efficace pour éviter les risques de transmission », a rappelé MGaron.

Pas « contre la vaccination »

Les demandeurs ne sont pas « contre la vaccination », a assuré MManole. Selon elle, il serait simplement possible de continuer de tester les travailleurs de la santé non vaccinés, sans provoquer une « tragédie ». « Il faut prendre pour acquis que cette mesure [les tests fréquents] est suffisante pour protéger la situation. Mais le 15 novembre, elle n’est plus suffisante ? », s’est-elle questionnée.

Les opposants font d’ailleurs face à un « préjudice sérieux et irréparable », puisqu’ils devront choisir entre « se faire vacciner contre leur gré » et subvenir aux besoins de leur famille. « C’est contraire à l’inviolabilité de la personne, c’est une injection dans la peau. On ne peut pas se faire ‟dévacciner”. C’est permanent », a plaidé MManole.

Il ne s’agit en rien d’un préjudice « sérieux », selon les avocats du gouvernement.

Il y a des sacrifices, ça, c’est certain. Je ne vais pas qualifier ça de sacrifice mineur. Mais ça demeure un préjudice économique.

MFrançois-Alexandre Gagné, avocat du gouvernement

Plus d’une centaine de déclarations sous serment de travailleurs de la santé ont été déposées, dont celles de huit médecins qui refusent de se faire vacciner. Parmi ceux-ci, un médecin de famille, le DJacques-Christian Brault, déplore que ses patients soient plongés dans l’« insécurité », alors que le cardiologue François Marchand souligne le « danger définitif pour ses patients ».

Une médecin en santé publique dans le Bas-Saint-Laurent, la Dre Marie-Andrée Pigeon, souligne qu’elle ne sera pas remplacée, tandis que la Dre Carole Xavier, médecin spécialiste en anatomie pathologique, ne sera plus en mesure de poser des centaines de diagnostics par mois.

Des centaines de citoyens ont assisté à l’audience de façon virtuelle mercredi matin. Fait inusité, plusieurs opposants ont accusé en direct le juge d’être « corrompu » et « partial ».

« Tous les commentaires que vous faites entre vous, que le juge est partial, que le juge est un idiot, on les voit. C’est mon travail de comprendre. Il n’y a rien de partial », a déclaré le juge Yergeau. La plateforme virtuelle n’était plus accessible au public et aux journalistes en après-midi.

Le juge rendra sa décision le 15 novembre.