Un groupe d’avocats qui presse depuis des années le gouvernement canadien d’accueillir au pays des réfugiés asiatiques ayant aidé le lanceur d’alerte Edward Snowden à échapper aux autorités américaines touche au but, mais prévient qu’il est encore trop tôt pour crier victoire.

L’arrivée mardi sur le sol canadien d’un couple srilankais et de ses deux enfants porte à six le nombre de réfugiés acceptés en lien avec cette affaire, mais les autorités fédérales tardent à rendre une décision relativement au septième et dernier « ange gardien ».

Ajith Pushpakumara, ex-soldat srilankais, demeure pris à Hong Kong et attend désespérément le verdict d’Ottawa, indique l’avocat Robert Tibbo, qui le représente.

« Il veut venir au Canada. C’est très dur pour lui de voir qu’il est le dernier parmi les anges gardiens à demeurer à Hong Kong. Il a l’impression d’avoir été abandonné, mais ce n’est pas le cas », a précisé mardi Me Tibbo, qui exerçait le droit dans l’ancienne colonie britannique lorsqu’Edward Snowden a fait irruption dans l’actualité.

L’ancien sous-traitant pour la National Security Agency a suscité en 2013 l’ire des autorités américaines en divulguant à des journalistes venus le rencontrer à Hong Kong des documents confidentiels détaillant plusieurs programmes de surveillance inconnus.

La publication de leur contenu a précipité une intense chasse à l’homme qui a forcé le ressortissant américain à se cacher chez des réfugiés qui ont accepté, à la demande de Me Tibbo, de l’héberger jusqu’à ce qu’il puisse finalement prendre un avion l’ayant mené en Russie, où il vit toujours.

L’avocat avait divulgué en 2016 à La Presse et quelques autres médias leur action « héroïque » en prévision de la sortie d’un film sur Edward Snowden qui devait en parler.

PHOTO BRENDAN MCDERMID, ARCHIVES REUTERS

Edward Snowden, ancien sous-traitant pour la National Security Agency, lors d’une vidéoconférence, en septembre 2016

Me Tibbo avait alors exprimé le désir que les trois familles ayant accepté de se mettre en péril pour protéger l’ex-sous-traitant soient récompensées de leurs efforts par un pays « qui estime et soutient les droits de la personne ». Une demande visant à leur permettre de venir au Canada avait été présentée quelques mois plus tard.

Pressions chinoises

Leur situation s’était considérablement dégradée du même coup puisque les autorités de Hong Kong étaient furieuses d’être projetées au cœur d’une intrigue aux répercussions internationales.

D’autant qu’elle mettait en relief les difficiles conditions de vie réservées aux réfugiés de Hong Kong, note MTibbo, qui ne réussissent que rarement à régulariser leur situation.

« Le rôle joué par mes clients envers Edward Snowden allait complètement à l’encontre de l’image extrêmement négative que tente de donner Hong Kong des réfugiés », dit-il.

[Mes clients] se sont comportés sur le plan éthique et moral d’une manière exemplaire durant une période de crise alors qu’on cherche habituellement à les dépeindre comme des criminels.

Me Robert Tibbo

L’avocat indique que les autorités chinoises ont cherché à couper les vivres aux familles concernées et ont multiplié les tentatives d’intimidation dans l’espoir de les faire taire et de les convaincre de quitter le territoire.

Me Tibbo affirme avoir lui-même fait face à des pressions des autorités, qui l’ont convaincu en 2017 de ne plus retourner à Hong Kong par crainte de représailles. La menace a encore gagné en acuité avec la loi sur la sécurité nationale imposée récemment par Pékin, qui est utilisée, dit-il, pour faire taire toute critique du régime.

Une décision avant 2022 ?

Bien qu’il dise comprendre la nécessité de « suivre le processus » administratif normal, l’avocat espère que le Canada rendra avant la fin de l’année une décision positive dans le dossier de M. Pushpakumara.

L’ex-soldat, qui souffre de choc post-traumatique, a vu sa santé mentale se détériorer sensiblement et a besoin d’être relocalisé rapidement pour assurer sa sécurité, dit-il.

Marc-André Séguin, qui chapeaute le Fonds For the Refugees, créé pour venir en aide aux anges gardiens d’Edward Snowden, dit avoir du mal à comprendre que le temps de traitement des dossiers soumis simultanément début 2017 par les trois familles concernées varie autant.

Une ressortissante philippine, Vanessa Rodel, et sa fille ont d’abord été acceptées par Ottawa il y a deux ans avant que la famille srilankaise arrivée cette semaine ne reçoive à son tour le OK, tandis qu’Ajith Pushpakumara doit continuer de patienter.

PHOTO COLE BURSTON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Supun Thilina Kellapatha (à droite) et sa femme Nadeeka Dilrukshi Nonis (en pull noir), en compagnie de leurs deux enfants, à leur arrivée à l’aéroport international Pearson de Toronto, mardi soir

M. Séguin note que la famille formée de Supun Thilina Kellapatha, Nadeeka Dilrukshi Nonis et leurs deux enfants, Sethumdi et Dinath, s’est installée mardi soir dans un nouvel appartement aménagé spécialement à leur attention à Montréal. For the Refugees les parraine pour un an et entend veiller durant ce temps à les soutenir au fil des différentes étapes d’intégration.

Ils étaient très fatigués à leur arrivée mardi, mais aussi très heureux de pouvoir enfin tourner la page sur une période qui a été très marquante, très stressante et lourde à porter d’un point de vue émotif.

Marc-André Séguin, qui chapeaute For the Refugees

« C’est une nouvelle étape vers une vie normale », a indiqué M. Séguin.

Les enfants, ajoute l’avocat, sont ravis. La fille du couple s’est déclarée déçue à son arrivée au Canada de « ne pas avoir vu le père Noël en survolant le pôle Nord », mais cette préoccupation contraste fortement avec les épreuves des dernières années.

Edward Snowden s’est réjoui il y a quelques jours sur son compte Twitter de l’arrivée de la famille srilankaise. Il a prévenu du même coup « qu’il fallait encore en ramener un autre à la maison avant de pouvoir dire :
“Mission accomplie” ».