(Vancouver) La juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique présidant l’audience d’extradition très médiatisée de la directrice financière de Huawei, a remis en question les propos d’un représentant du gouvernement fédéral qui a affirmé jeudi que le cas de Meng Wanzhou n’était pas unique.

La juge en chef adjointe, Heather Holmes, a posé une question après que Robert Frater, un avocat du gouvernement du Canada, a déclaré que l’inconduite présumée de Meng Wanzhou relevait carrément des limites de la loi sur la fraude.

« N’est-il pas inhabituel de voir un cas de fraude sans préjudice réel de nombreuses années plus tard et dans lequel la victime présumée, une grande institution, semble avoir de nombreuses personnes au sein de l’institution qui avaient tous les faits dont on dit maintenant qu’ils ont été dénaturés ? », a demandé la juge Holmes.

Sa question est venue alors que Me Frater terminait de présenter ses arguments dans le dossier du gouvernement contre Mme Meng, qui a été arrêtée à l’aéroport de Vancouver en 2018 pour des accusations de fraude.

L’avocat Robert Frater, qui représente les États-Unis dans ce dossier, a répondu à la juge que ni l’absence de préjudice ni une certaine connaissance de la vérité ne signifient qu’il n’y a eu aucune fraude, mais elles sont plutôt liées à la gravité du crime.

« Dans notre droit, à notre humble avis, ces caractéristiques de l’affaire sont généralement prises en compte dans la détermination de la peine, car elles témoignent de la gravité des évènements », a-t-il soutenu.

Le juge s’est montrée en accord avec la déclaration de l’avocat selon laquelle pour atteindre le critère d’extradition, l’inconduite présumée de Meng Wanzhou devrait s’inscrire dans les « quatre coins » de la loi sur la fraude.

Le mandat de la juge Holmes n’est pas de se prononcer sur la culpabilité Mme Meng, mais de déterminer si les États-Unis ont fourni suffisamment de preuves pour étayer un dossier contre elle. Peu importe le jugement, la décision concernant l’extradition appartient au ministre de la Justice du Canada.

Les accusations de fraude portées contre Mme Meng sont centrées sur une réunion qu’elle a tenue dans un salon de thé de Hong Kong en 2013 avec un banquier senior de la HSBC.

Elle est accusée d’avoir déformé le contrôle de Huawei sur Skycom, une société qui vendait du matériel informatique en Iran, ce qui aurait mis HSBC en danger de violer les sanctions américaines contre le pays.

La directrice financière de Huawei et fille du fondateur du géant chinois des télécommunications, nie les allégations selon lesquelles elle aurait fait courir à HSBC le risque d’enfreindre des sanctions américaines lors d’une présentation PowerPoint qu’elle a donnée ce jour-là en 2013.

Robert Frater a passé jeudi à faire valoir que HSBC avait subi des risques de perte, de pénalités et de dommages à sa réputation en raison de la présentation habile de Mme Meng.

La loi sur la fraude stipule clairement que la victime présumée ne doit pas subir de perte réelle, mais un risque de privation, a-t-il ajouté.

La présentation de Meng, qui était « généreuse » dans sa description du respect des sanctions, mais « économique » dans sa description des relations entre Huawei et Skycom, n’a pas été faite de manière isolée, a affirmé Me Frater.

« Le fait que d’autres employés de Huawei aient fait des représentations similaires auprès d’autres banques démontre dans notre plaidoirie un plan coordonné de réassurance des prêteurs, avec Mme Meng faisant partie intégrante de ce plan de réassurance. »

Jeudi marquait le deuxième jour de la présentation des arguments lors de l’audience d’extradition de Mme Meng, qui se déroule plus de deux ans et demi après son arrestation à l’aéroport de Vancouver.

Son audience d’extradition tant attendue se déroule alors que les tribunaux chinois condamnent des Canadiens dont la peine ou la détention sont largement considérées comme des représailles en réponse à l’arrestation de la dirigeante en 2018.

Les dirigeants fédéraux se sont unis mercredi pour demander la libération des Canadiens Michael Spavor et Michael Kovrig qui ont été arrêtés en Chine quelques jours après l’arrestation de Mme Meng.

L’entrepreneur Michael Spavor a été reconnu coupable d’espionnage et condamné à 11 ans de prison, à la suite d’une courte audience qui s’est tenue à huis clos en mars.

Le premier ministre Justin Trudeau a condamné la peine de Michael Spavor à la suite de sa « détention arbitraire » et a promis que les autorités travailleraient « 24 heures sur 24 » pour obtenir sa libération et celle de Michael Kovrig, un autre détenu canadien.

La condamnation de M. Spavor est tombée après la décision d’un tribunal chinois mardi de maintenir la peine de mort pour un autre Canadien, Robert Schellenberg, pour trafic de drogue. M. Schellenberg avait initialement été condamné à 15 ans de prison, mais sa peine a été subitement révisée après l’arrestation de Mme Meng.

L’équipe juridique de Meng Wanzhou doit commencer ses plaidoiries finales vendredi.