C’est l’histoire d’une ado de 15 ans qui ment pour se faire de l’argent rapidement et d’un « sugar daddy » prêt à « soutenir » une « sugar baby » pour du sexe. Mais c’est surtout une illustration malheureuse de la « banalisation inquiétante de la prostitution et de la glorification de la marchandisation des relations hommes-femmes ».

C’est ainsi que la juge Patricia Compagnone a décrit le dossier de Bruno St-Pierre en acquittant ce dernier au terme de son procès en juin dernier. Le Montréalais de 52 ans était accusé d’avoir obtenu les services sexuels d’une mineure contre rétribution, d’agression sexuelle, de possession de pornographie juvénile et de trafic de stupéfiants.

Décembre 2018. Bruno St-Pierre entre en contact avec la victime sur le site web SeekingArrangement.com. L’ado de 15 ans — qui déclare toutefois avoir 18 ans sur son profil — est alors « à la recherche d’un sugar daddy ». Ce n’était d’ailleurs pas sa première expérience de « sugar baby », puisqu’elle avait déjà rencontré trois autres hommes par l’entremise de cette plateforme.

« Attirée par la possibilité de gagner rapidement de l’argent, elle accepte de rencontrer des hommes beaucoup plus âgés qu’elle via ce site. Elle comprend aussi qu’il est possible qu’elle doive avoir des contacts sexuels avec ces hommes », explique la juge dans sa décision du 18 juin.

Dès le premier soir, Bruno St-Pierre a des contacts sexuels avec l’adolescente. Mais s’ils se rencontrent, c’est surtout pour déterminer s’ils ont une « chimie ». Le « sugar daddy » est en effet prêt à « soutenir » financièrement une « sugar baby » jusqu’à 2000 $/mois dans le cadre d’une relation.

« Nul besoin de jouer à l’autruche », tranche la juge. Ce « soutien » représente une rétribution pour services sexuels.

Si Bruno St-Pierre a été acquitté sur toute la ligne, c’est principalement parce que la victime a menti à de nombreuses reprises sur son âge pour lui faire croire qu’elle avait 18 ans. Ainsi, l’accusé lui avait demandé son âge dès le début du rendez-vous. Mais l’adolescente a raconté pendant la soirée être en sabbatique du cégep et être née en mai 2000, ce qui lui donnait l’âge légal.

« La victime avait clairement l’intention d’induire l’accusé en erreur sur son âge. Elle ne s’en cache d’ailleurs pas. Elle voulait, elle tenait [en italique dans le jugement], à ce que l’accusé croit qu’elle avait véritablement 18 ans. Elle a donc tout fait pour qu’il en soit le cas », conclut la juge Compagnone.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Bruno St-Pierre lors de son procès en juin dernier

Dans ce contexte, Bruno St-Pierre pouvait « sincèrement » croire que la victime avait 18 ans, ajoute la magistrate. Si elle conclut à un acquittement, la juge évoque néanmoins la « responsabilité morale » de l’accusé.

« Normalisation de l’exploitation sexuelle »

La juge tire aussi à boulets rouges sur le site web SeekingArrangement.com, la plateforme de rencontres au cœur du procès. « [C’est] de la prostitution qui ne dévoile pas son nom », tranche-t-elle dès son premier paragraphe. Bien que le site donne l’impression d’être légitime, « il ne faut pas se leurrer », selon la juge.

CAPTURE D’ÉCRAN DU SITE SEEKINGARRANGEMENT.COM

Selon la juge Patricia Compagnone, la plateforme de rencontres SeekingArrangement.com fait de « la marchandisation de services sexuels ».

Le site SeekingArrangement.com fait la « promotion » de relations qui « favorisent la normalisation de l’exploitation sexuelle en invoquant une logique économique », poursuit la magistrate. « Ainsi, en mettant en contact de jeunes femmes et des “sugar daddy” plus âgés, les femmes ont l’impression qu’elles vivront une expérience d’émancipation amoureuse et sexuelle qui leur sera bénéfique financièrement. »

« On peut certainement craindre pour les jeunes femmes vulnérables qui pourraient être tentées de participer à un tel système vu l’attrait financier qui y est rattaché. C’est d’ailleurs la situation exacte de la victime ici. Bref, il s’agit d’une façon insidieuse de faire la marchandisation de services sexuels », assène la juge.

MHarry-Pierre Étienne a représenté le ministère public, alors que MKaven Morasse a défendu l’accusé.