Un chauffard en état d’ébriété qui a tué un signaleur routier et blessé six autres travailleurs sur un chantier montréalais en 2018 a eu beau se confondre en excuses mercredi, ça n’a pas empêché son avocat de blâmer le ministère des Transports et une innocente conductrice pour réclamer une peine clémente.

« Imprudente, déréglée et téméraire » : c’est ainsi que le juge Pierre Dupras avait pourtant qualifié la conduite de Vincent Lemay, en février dernier, en le déclarant coupable sur toute la ligne. « Jusqu’à la dernière seconde, littéralement, alors que le chantier est visible, il a roulé à pleins gaz », avait-il résumé.

Le 23 février 2018, l’homme de 41 ans était complètement soûl, au volant de sa camionnette F-250, lorsqu’il a provoqué ce funeste accident près du rond-point de Dorval sur l’autoroute 20. À l’approche du chantier, Vincent Lemay a accéléré à 135 km/h dans la voie de gauche, percutant de plein fouet un Honda CR-V qui changeait de voie. Ce dernier véhicule a alors été projeté sur les employés du MTQ, tuant le signaleur Stéphane Lebel sur le coup. Six travailleurs ont été blessés.

S’il est le seul accusé, Vincent Lemay n’est pas le « seul responsable », a néanmoins plaidé son avocat, MRichard Dubé. Il demande ainsi une peine de trois ans de prison, contre cinq ans pour la poursuite. « Le MTQ a mal travaillé. La signalisation n’était pas adéquate », a-t-il lancé.

Comme au procès, MDubé a jeté le blâme sur la conductrice du Honda CR-V, blessée dans la collision. Une défense pourtant rejetée par le juge, qui a rappelé qu’une manœuvre de changement de voie n’est pas imprévisible sur une autoroute.

« Cette dame-là, elle conduisait mal. Elle ne se dirigeait pas bien. Elle ne savait pas pantoute ce qu’elle faisait. Elle s’est déplacée dans la voie de gauche subitement. C’est là, l’accident. Bon, on peut penser que Monsieur allait trop vite et que s’il n’y avait pas eu d’alcool, il aurait probablement conduit différemment », a plaidé MDubé.

Jusqu’à son témoignage, Vincent Lemay affichait bien peu de remords et ne prenait pas la responsabilité de ses gestes, selon un rapport. Or, mercredi, le chauffard a assuré avoir réalisé les conséquences de son crime et a répété avoir pris « une mauvaise décision ». « J’aurais voulu prendre leur place [aux victimes], a-t-il confié. Il a toutefois semblé minimiser les trois infractions routières commises après son crime, dont deux pour excès de vitesse.

Un « fléau »

Selon la Couronne, la conduite de Vincent Lemay est un exemple parfait du « fléau » de l’alcool au volant, principale cause de décès criminel au pays. « Cet évènement est une illustration des conséquences atroces d’une conduite en état d’ébriété sur d’innocentes victimes qui ne faisaient que leur travail », a insisté la procureure Anik Archambault.

Les tribunaux doivent être sévères pour dénoncer ce type de comportement.

Me Anik Archambault, procureure

Une peine de cinq ans de pénitencier devrait ainsi être imposée contre le chauffard pour lancer au public un message de dissuasion, surtout que Stéphane Lebel et ses collègues du MTQ étaient des victimes « particulièrement vulnérables ». Les signaleurs routiers risquent en effet leur vie en travaillant sur le bord de l’autoroute, a rappelé MArchambault, qui faisait équipe avec MEmmanuelle Viau-Smith.

Les récents excès de vitesse de Vincent Lemay démontrent aussi que le processus judiciaire n’a eu « aucun effet dissuasif » sur son comportement, estime la Couronne, qui qualifie sa prise de conscience d’« embryonnaire ». La poursuite réclame aussi une interdiction de conduite de cinq ans. En ce moment, il lui est seulement interdit de conduire la nuit.

Le juge rendra sa décision en septembre.

Ils ont dit

M. Lemay a été le bourreau de mon fils Stéphane, le père de mes petits-enfants. Il a causé un préjudice inconsolable dans notre famille. Il faut démontrer qu’être en boisson et prendre le volant est un acte criminel autant qu’un acte de violence ayant [causé] la mort.

Sylvie Turcotte, mère de la victime, Stéphane Lebel

Mon frère et ses collègues ne faisaient que leur travail. La conductrice victime de l’accident ne faisait que revenir chez elle. [Ç]a n’aurait pas eu lieu si l’accusé n’avait pas pris de [risque] ce soir-là.

Sarah Lebel, sœur de Stéphane Lebel

Je n’ai pas pu travailler pendant deux ans, j’étais incapable de me retrouver sur les [bords] de l’autoroute. J’ai développé une peur de conduire. Je fais encore des cauchemars de l’accident. On m’a diagnostiqué une dépression majeure et un symptôme post-traumatique.

Jacques Jérôme, gravement blessé lors de la collision