La Gendarmerie royale du Canada a mis au jour une conspiration impliquant plusieurs personnes qui auraient tenté de voler 14 millions de dollars au gouvernement en usurpant l’identité de la ministre fédérale Anita Anand pour faire une fausse commande d’équipement de protection au début de la pandémie, a appris La Presse. Grâce à la vigilance des fonctionnaires, la fraude a échoué et un suspect a été arrêté.

L’enquête a démarré en avril 2020, lorsqu’un employé de Services publics et Approvisionnement Canada, le ministère chargé de l’approvisionnement en matériel médical pendant la pandémie, a reçu un courriel qui semblait provenir de sa ministre, Anita Anand, selon des documents judiciaires obtenus par La Presse.

Dans le courriel, la ministre semblait demander au fonctionnaire de transférer d’urgence 14 millions de dollars en fonds publics dans un compte à l’étranger, pour une commande de matériel de protection individuelle.

À l’époque, tous les pays étaient engagés dans une course folle pour mettre la main sur des masques, des gants, des blouses et des visières. La COVID-19 gagnait du terrain. La crainte d’une pénurie avait causé une surenchère. Tout allait vite, et on ne pouvait plus compter sur les circuits d’approvisionnement traditionnels.

« Notre approche est de commander agressivement sur le marché, en toute connaissance des risques posés par la fragilité des chaînes d’approvisionnement. Il y a une course mondiale pour les mêmes biens, et cela nous impose d’être proactifs et agressifs », avait expliqué la ministre Anand en entrevue au National Post le 16 avril 2020. Ottawa s’était aussi tourné vers de nouveaux acteurs, notamment des importateurs privés ayant des contacts en Chine ou des manufacturiers canadiens d’autres produits qui s’étaient temporairement réorientés vers le matériel de protection.

Une occasion

Deux semaines après cette entrevue, le 29 avril 2020, le faux courriel de la ministre a été envoyé au fonctionnaire par un suspect. « Si on se souvient du contexte, il y avait une opportunité », souligne l’inspecteur Alexandre Beaulieu, responsable de l’Équipe d’enquête sur les cybercrimes de la Division nationale de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Les fonctionnaires ne sont toutefois pas tombés dans le piège. Ils ont trouvé le courriel louche et ont contre-vérifié la demande. Lorsqu’ils ont réalisé qu’il s’agissait d’une arnaque, la police a été appelée.

Les enquêteurs spécialisés en cybercriminalité ont alors demandé l’aide des inspecteurs de Postes Canada, pour une technique d’enquête que les autorités ne veulent pas préciser pour l’instant. Le 14 octobre dernier, ils ont procédé à l’arrestation de Kenneth Kenzo Alaye Achu, un résidant de Mississauga, en Ontario, âgé de 27 ans. Le suspect réside à proximité de la circonscription de la ministre Anand, qui est députée d’Oakville. Il demeure en liberté pour la durée du processus judiciaire.

L’homme a d’abord été accusé de fraude et d’usurpation d’identité pour s’être fait passer pour la ministre dans ses communications avec un fonctionnaire. Une accusation supplémentaire de complot a été ajoutée en avril dernier. « De nouveaux éléments de preuve indiquent qu’il complotait avec des personnes inconnues pour commettre la fraude », a précisé une agente de la GRC dans le dossier de la cour. Selon elle, le complot aurait débuté le 30 mars 2020, soit un mois avant l’envoi du courriel. Le but aurait été de transférer les 14 millions dans « plusieurs comptes bancaires ».

L’inspecteur Beaulieu affirme toutefois qu’il n’y a pas d’autres arrestations à venir à court terme, à moins que de nouvelles informations deviennent accessibles à ses enquêteurs. L’officier a tenu à remercier « le personnel du service public et des inspecteurs de Postes Canada » pour leur aide précieuse dans ce dossier.

L’accusé compte se défendre

L’accusé Kenneth Kenzo Alaye Achu n’a pas souhaité commenter les allégations de la poursuite à ce stade. « Il est innocent jusqu’à preuve du contraire et il va aller en procès pour prouver son innocence », a assuré à La Presse son avocate, MJoelle Klein.

Le bureau de la ministre n’a pas fait de commentaires non plus. La GRC, de son côté, a profité de l’occasion pour rappeler aux organisations l’importance d’être vigilant et de se méfier des fraudes en ligne.