Elle a dû attendre près de quatre ans pour entendre le mot « coupable », prononcé mardi par le juge Jean-Jacques Gagné. Son ex-conjoint, un homme extrêmement violent, dont elle ignorait complètement le passé de délinquant sexuel, l’a battue à répétition en la violant pendant plusieurs mois. Dans la foulée de la vague de féminicides qui frappe le Québec, Brigitte Jobin a accepté de témoigner à visage découvert de l’horreur qu’elle a vécue, et espère inciter d’autres survivantes à dénoncer leurs agresseurs.

« Je suis heureuse d’avoir tenu bon. Je l’ai fait pour toutes les victimes de féminicide qui n’ont pas eu cette chance », lance Brigitte Jobin.

L’affaire, pour laquelle la femme de 34 ans préfère se décrire comme une « survivante » plutôt que comme une victime, a mis quatre ans à être tranchée par la Cour du Québec. L’accusé de 45 ans, Jody Matthew Burke, est inscrit au registre fédéral des délinquants sexuels et a tout fait pour lui cacher son passé violent alors qu’il était en maison de transition, vient d’être reconnu coupable de huit chefs d’accusation, dont agression sexuelle armée ayant causé des lésions et menaces de mort.

« Je comprends que je suis une femme qui dégage de l’assurance, que je n’ai pas l’air d’être le genre de personne à tomber sous le joug d’un homme violent. Mais j’étais complètement sous son contrôle », témoigne l’enseignante, qui a rencontré La Presse avant que le jugement soit rendu mardi par le tribunal.

PHOTO TIRÉE DE L’INTERNET

Jody Matthew Burke

« Son témoignage est sans faille, franc, précis, humble et honnête », a souligné mardi le juge Jean-Jacques Gagné, en lisant de grands pans de sa décision de 59 pages, dont de nombreux détails sont à glacer le sang.

Jody Matthew Burke, ancien combattant d’arts martiaux mixtes, a été représenté par huit avocats tout au long du processus judiciaire, dont un qu’il a congédié en plein procès, l’accusant de « collusion et complot avec la Couronne ». Il est demeuré incarcéré pendant tout le processus. « Ce qui le caractérise est un manque de compassion », un « besoin clair de constamment référer à sa propre personne » et un désir d’être lui-même « reconnu comme une victime de la police, du tribunal » et de Mme Jobin, a tranché le juge.

Brigitte Jobin a carrément vécu l’enfer avec lui pendant six mois. Elle a rencontré Jody Matthew Burke en 2016, alors que ce dernier était entraîneur dans un gym montréalais où elle-même s’entraînait.

Fraîchement arrivé de Colombie-Britannique, il se faisait appeler Avi, un nom qui cachait sa véritable identité. « Pendant un mois, il a été super fin. Il n’avait pas une once de violence. Je n’avais aucune inquiétude », assure Mme Jobin.

Bracelet GPS à la cheville

Mais lors de leurs premières relations sexuelles, elle n’a pas pu ignorer l’évidence : Avi portait un bracelet GPS à la cheville. « Il m’a dit que c’était à cause de problèmes qu’il avait eus avec des gangs de rue en Alberta. Il m’a dit de ne pas m’inquiéter, qu’il n’y avait aucun danger. »

Un mois plus tard, le couple devenait officiel, et l’agente de libération conditionnelle de Burke rencontrait Mme Jobin, comme l’exigeaient ses conditions de libération. Selon le témoignage fait par Mme Jobin en cour, l’agente lui aurait dit que Burke était « une bonne personne, mais qu’il avait eu des problèmes mineurs dans ses relations ».

Or, il n’en était rien. Quand Mme Jobin a fini par apprendre par hasard le véritable nom de son amoureux lors d’une visite à l’hôpital, elle a vite découvert des jugements du tribunal de Colombie-Britannique et des articles de journaux témoignant de son passé violent, qui lui a valu six ans de pénitencier. Ces jugements décrivaient un comportement horrible et brutal : Burke était allé jusqu’à forcer son ancienne conjointe à avaler sa propre urine et à avoir des relations sexuelles extrêmement violentes impliquant un couteau et une ceinture.

Violence et contrôle absolu

Mme Jobin l’a alors confronté. Il a minimisé l’affaire. C’est alors que les problèmes ont commencé pour elle. Dans les semaines qui ont suivi, il l’a frappée aux côtes, aux cuisses et à la tête pendant des relations sexuelles forcées. Burke lui a fait perdre conscience en l’étranglant dans sa voiture, a essayé de la forcer à avoir une relation sexuelle avec un couteau de cuisine sur la gorge en la menaçant de la tuer. Il a aussi tenté de l’étrangler avec sa ceinture de judo pendant une autre relation forcée. « Il m’obligeait à lui dire combien je voulais recevoir de coups. Ça l’excitait », raconte Mme Jobin.

Pendant tout ce temps, Burke exerçait sur elle un contrôle absolu. Brigitte Jobin ne voyait plus aucune amie et avait pratiquement coupé le contact avec ses parents. « Quand il ne dormait pas chez moi, il m’appelait pour me demander de filmer mon appartement avec mon téléphone pour s’assurer qu’il n’y avait pas un autre homme qui se cachait dans la douche », dit-elle. Elle devait l’informer de chacun de ses déplacements.

Après lui avoir blessé sérieusement une côte en la frappant, il l’a forcée à prendre de l’oxycodone et à retourner au travail le lendemain. Quand elle a fini par aller à l’hôpital trois jours plus tard, il l’a forcée à dire qu’elle s’était blessée en faisant du judo.

« Je n’osais pas prendre de photos de mes blessures. Il contrôlait mon compte Facebook en temps réel et vérifiait constamment mon téléphone. »

Burke l’a également forcée à se faire tatouer les mots « Avi’s Queen » sur une côte. Quelques années plus tôt, il avait obligé son ex-conjointe à se faire tatouer l’inscription « Propriété de Jody Burke » en anglais sur la poitrine.

Mme Jobin a fini par prendre son courage à deux mains et l’a dénoncé en juin 2017, après six mois d’humiliations constantes, de souffrance physique, à vivre constamment dans la peur de mourir. « Le jour même, je lui envoyais des textos avec des petits cœurs pour qu’il ne se doute de rien », dit-elle.

Le « stéréotype » de la femme battue

Pendant toute sa relation avec l’accusé, Mme Jobin dit avoir rencontré une seule fois une agente de libération conditionnelle. Burke se trouvait alors à quelques mètres seulement du bureau de l’agente, qui avait elle-même peur de lui, selon son témoignage. « Et chaque fois que les agentes m’appelaient pour faire des vérifications, il s’arrangeait pour être à côté de moi. J’étais terrorisée. C’était impossible de signaler quoi que ce soit », soutient-elle.

Je me suis rendu compte que j’étais une victime de violence conjugale en remplissant une “checklist” sur le site de SOS Violence conjugale. C’est affreux à dire, mais moi-même, j’avais dans la tête le stéréotype de la femme battue, et je trouvais que ça ne collait pas à ma situation.

Brigitte Jobin

Le juge Gagné a évoqué dans son jugement l’importance pour la justice de ne pas adhérer aux « mythes et stéréotypes » qu’on accole aux victimes d’agressions sexuelles, qui peuvent expliquer pourquoi elles hésitent parfois à dénoncer leur agresseur. Il a par ailleurs souligné le manque de pertinence des nombreux témoins que Burke a fait défiler à la barre après avoir congédié ses avocats, provoquant des délais qui ont constitué une « mauvaise utilisation des ressources » du tribunal.

« Il y a toujours place à amélioration, c’est vrai, mais on marchait sur des œufs pour préserver son droit à une défense pleine et entière, et éviter qu’il porte l’affaire en appel », a déclaré MJasmine Leduc, avocate du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) qui a mené le dossier pour la Couronne. « Je tiens juste à saluer le courage et la résilience de Mme Jobin, sans qui on n’aurait pas pu arriver à ce verdict quatre ans plus tard. C’est exceptionnel », a-t-elle insisté.

« Ça fait quatre ans que je suis vraiment sur le bord de tout lâcher, mais je dois admettre, aujourd’hui, que le système de justice n’est pas si “brisé” finalement, a pour sa part réagi Mme Jobin. J’ai été entendue et crue. Mais j’aurais de loin préféré que le tout se règle plus rapidement », a-t-elle ajouté.

Pour témoigner à visage découvert, Brigitte Jobin et la procureure de la Couronne, MLeduc, ont demandé que soit levé l’interdit de publication protégeant normalement l’identité des victimes en pareille situation.

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