(Montréal) Québec renonce à en appeler de l’acquittement de l’auteur Yvan Godbout et des Éditions ADA, qui ont été blanchis des accusations de production et de distribution de pornographie juvénile en Cour supérieure en septembre dernier.

La Cour suprême a refusé, la semaine dernière, d’entendre l’appel du Procureur général du Québec dans ce dossier, un refus qui habituellement ferme les livres pour de bon, mais le plus haut tribunal avait ouvert la porte pour que Québec revienne à la charge devant la Cour d’appel du Québec.

Bien que la Cour suprême ne donne habituellement pas de raison pour refuser d’entendre un appel, pour une rare fois elle avait précisé qu’elle n’avait pas la compétence pour agir dans ce dossier. En fait, selon les explications obtenues par La Presse Canadienne, la Cour suprême a déterminé que le Procureur général ne pouvait s’adresser directement à elle sans passer d’abord par la Cour d’appel qui, elle, a compétence. L’article 40 de la Loi sur la Cour suprême précise en effet que la juridiction du plus haut tribunal se limite à entendre un appel sur « tout jugement, définitif ou autre, rendu par la Cour d’appel fédérale ou par le plus haut tribunal de dernier ressort habilité, dans une province, à juger l’affaire en question ».

Le bureau du Procureur général a toutefois confirmé mardi par voie de courriel à La Presse Canadienne qu’il ne se prévaudra pas de son droit d’appel : « le jugement rendu par la Cour suprême du Canada met un terme aux procédures judiciaires entreprises dans ce dossier ».

Atteinte à la liberté d’expression

Le juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure, avait acquitté Yvan Godbout et les Éditions ADA et invalidé du même coup une série d’articles du Code criminel. Le magistrat voyait dans ces articles des limites déraisonnables à la liberté d’expression et estimait qu’on ne pouvait mettre sur le même pied des images démontrant une réalité tangible et une fiction littéraire. Les accusations envers l’auteur et sa maison d’édition avaient été portées en lien avec un passage décrivant de manière explicite le viol d’une fillette de neuf ans par son père dans le roman d’horreur Hansel et Gretel.

Le Procureur général du Québec avait justifié la décision d’aller directement devant la Cour suprême par le fait qu’il ne voulait pas contester l’acquittement des deux accusés, mais cherchait uniquement à tenir un « débat théorique » pour rétablir les articles du Code criminel invalidés par le juge Blanchard. La Cour suprême lui a donc confirmé qu’il ne peut prendre ce raccourci.

« Le ministère public peut aller en appel à l’encontre d’un jugement techniquement, entre autres choses. Les motifs de droit sont à être désignés en soutien à l’appel, mais on ne peut pas contourner cette obligation et dire qu’on va aller directement à la Cour suprême simplement parce qu’on parle de choses importantes que sont la constitutionnalité d’une disposition », a expliqué le criminaliste Jean-Claude Hébert en entrevue avec La Presse Canadienne.

Pas d’appel partiel

Me Hébert rappelle au passage que le dossier Godbout n’est pas exceptionnel en ce sens, bien au contraire.

« Ce n’est pas la première fois que les tribunaux inférieurs annulent ou contestent la validité constitutionnelle de dispositions du Code criminel et ça se fait selon l’échelle habituelle », fait-il valoir.

Cependant, précise-t-il, le Procureur général n’aurait pu ménager la chèvre et le chou en cherchant à rétablir les articles invalidés sans contester l’acquittement.

« On va demander : appel de quoi ? Appel de l’acquittement, parce que le juge Blanchard, quand il a clos le dossier, a dit qu’il n’avait d’autre choix que d’acquitter les deux accusés [Yvan Godbout et les Éditions ADA]. Techniquement, ce serait un appel à l’encontre de l’acquittement, fondé évidemment sur des questions classiques de droit, mais aussi de droit constitutionnel, à savoir si le texte de loi dans les circonstances que l’on connaît, s’appliquait, était valide ou inconstitutionnel », fait-il valoir.

Il précise également que le délai de 30 jours pour en appeler ne se serait pas appliqué dans un cas comme celui-ci et que Québec aurait pu procéder s’il l’avait voulu.

« Avec une requête en autorisation d’appel et en expliquant pourquoi il y a quelqu’un qui n’a pas pris la bonne décision administrative, je pense bien que la Cour d’appel ne refuserait jamais de recevoir le dossier », dit-il.

L’arrestation d’Yvan Godbout et les accusations qui avaient été déposées avaient provoqué un mouvement de soutien à l’auteur, la communauté littéraire estimant qu’une œuvre de fiction ne pouvait être ainsi associée à la réalité de la pornographie juvénile. En fait, tout le milieu de la création artistique avait suivi cette affaire avec attention et avait applaudi à l’acquittement de l’auteur.