« Autant avant, j’étais déterminé dans le crime autant aujourd’hui, je suis déterminé à ne pas y retourner, car je vais mourir en prison ».

C’est par cette déclaration que Christian Deschênes a terminé son témoignage devant les commissaires aux libérations conditionnelles du Canada, jeudi matin.

Deschênes, qui aura 65 ans bientôt, purge depuis la fin des années 80 une peine de plus de 45 ans pour des importations de drogues en grosses quantités et pour un complot de meurtre contre un ancien capitaine de la mafia montréalaise.

Le matin du 18 novembre 1992, Christian Deschênes dirigeait les hommes qui devaient récupérer les 4000 kilogrammes de cocaïne transportés par avion par le pilote mercenaire Raymond Boulanger, parti du nord de la Colombie. Mais Deschênes et ses acolytes de la mafia ont quitté trop tôt la piste de Casey, au nord de La Tuque, et Boulanger, après avoir atterri, s’est retrouvé seul, avant d’être arrêté par les enquêteurs de la GRC.

À deux reprises, au début des années 90 et des années 2000, Deschênes a récidivé alors qu’il était en libération conditionnelle, et sa peine a été prolongée jusqu’à 45 ans.

Cela fera bientôt 20 ans qu’il n’est pas sorti, sauf pour quelques permissions avec et sans escorte.

« J’ai vécu dans la criminalité la majeure partie de ma vie adulte. Je vais avoir 65 ans dans trois mois. J’ai une bonne génétique, mais il me reste combien de temps à vivre ? 15 ans ? », se demande-t-il.

Deschênes veut aller en maison de transition, notamment pour lui permettre d’assister une personne proche gravement malade. Son agente de libération est d’accord.

« Votre dossier impose la prudence et l’imposera toujours », a commencé la commissaire Marie-Claude Frenette, annonçant ainsi qu’elle et sa collègue, Véronique Buisson, n’entendraient pas à rire durant son témoignage.

Bombardé de questions corsées, mais répondant avec aplomb et transparence, Christian Deschênes a expliqué pourquoi il a récidivé après avoir été condamné une première fois à dix ans, après une importation ratée de haschich.

« Ma première sentence, c’était une malchance. Si on est jeune et qu’on a du succès, c’est très difficile d’arrêter. Les autres te valorisent et ça devient un défi constant. Ça me faisait vivre, pas juste monétairement, aussi au niveau de l’adrénaline. Je banalisais ça à ce moment-là », a-t-il expliqué.

Contre la légalisation de la marijuana

Deschênes a pris la balle au bond et s’est lancé dans un plaidoyer contre les drogues. Il a dit que sa vision des choses a changé au milieu des années 90 et s’est même prononcé contre la légalisation de la marijuana.

« En 1994 ou 1995, j’ai fait une prise de conscience contre la drogue, car j’ai été témoin des impacts dans ma famille. Pour moi, le haschich, ce n’était pas vraiment grave, mais ce n’est pas ce que je pense aujourd’hui. Les drogues ne sont pas bonnes pour la société. C’est une mauvaise décision que d’avoir légalisé une partie d’entre elles, car on ouvre la porte au reste ».

« La cocaïne, c’est la mort à petites doses. Importer des stupéfiants, ces gens-là vendent la mort. Tout ce qui tourne autour de ça, la violence. On détruit la société et le tissu social. Il ne faut pas tolérer ça », a notamment déclaré Deschênes.

Après sa deuxième libération en 2000, Deschênes a comploté pour tuer un lieutenant du parrain Vito Rizzuto par « loyauté » envers un « ami » qui a été la cible d’une tentative de meurtre et dont le fils avait été assassiné. Il ne les a pas nommés durant l’audience, mais il s’agit vraisemblablement de Paolo Gervasi et de son fils Salvatore, liés à la mafia et tués en 2004 et 2000.

Deschênes admet avoir eu un contrat sur sa tête par la suite, mais assure que ce n’est plus le cas aujourd’hui.

« Le milieu a eu d’autres chats à fouetter et les personne avec qui il y aurait pu avoir des litiges sont décédées. Le temps a fait son œuvre et a fini par arranger les choses pour moi. Certains sont décédés de vieillesse ou de maladie », a-t-il dit.

Détention mouvementée

Christian Deschênes a raconté avoir fait une tentative de suicide après cette dernière condamnation.

« Le bon Dieu ne veut pas de moi, le diable non plus, alors il a fallu que je subisse et que je fasse ce que j’avais à faire. Il y a eu un gros changement à partir de ce moment-là » a-t-il expliqué.

Mais cela ne l’a pas empêché de connaître une incarcération mouvementée.

En 2012, son nom a rebondi dans un complot d’évasion et il a demandé de subir le test du polygraphe, qu’il a passé avec succès.

En 2002, du haschich a été retrouvé dans sa cellule.

« Je gardais ça pour quelqu’un, question de survie. J’étais dans un maximum et j’en ai payé le prix, j’ai eu une sanction ».

En 2009, un dictionnaire à son nom dans lequel étaient écrits à la main les noms et adresses de deux mafieux a été trouvé dans sa cellule, mais il dit ne pas s’en souvenir.

De toute façon, Deschênes jure n’être affilié à aucun groupe criminel aujourd’hui et se moque du fait que les renseignements l’associent aux Colombiens, qui n’existent pas à Montréal, dit-il.

Récemment, à quelques semaines de l’audience, même s’il risquait gros, Deschênes a annoncé son intention de s’entraîner dans le gym du pénitencier malgré une consigne contraire.

« Le but était de passer en discipline avec un juge de l’extérieur et défier l’inaptitude de l’institution à gérer l’horaire. Cela ça a porté fruit et l’horaire a changé », a-t-il expliqué, non sans fierté.

Des commissaires prudentes

Ce comportement « entier » comme Deschênes le dit, est peut-être ce qui fait hésiter les commissaires, qui ont décidé de prendre leur décision en délibéré.

« Il y a beaucoup de choses à considérer et on ne veut pas prendre une décision à la hâte », a expliqué la commissaire Frenette.

Si elles acceptent de l’envoyer en maison de transition, des conditions spéciales sont déjà avancées : ne pas communiquer avec toute personne ayant des antécédents ou étant liée à une organisation criminelle, ne pas fréquenter les endroits où l’on vend de l’alcool, sauf la SAQ, ne pas posséder plus d’un appareil de communication ou d’une carte SIM et fournir les relevés, divulguer toute transaction financière et suivre un programme psychologique. « Je suis d’accord avec tout ça », a annoncé Deschênes, qui se dit prêt à porter un bracelet GPS.

Une fois libéré, si c’est le cas, il veut s’occuper de ses proches d’abord, puis peut-être se trouver un emploi ensuite.

Il dit avoir des économies accumulées à l’époque où il a été monteur de structures d’acier et pêcheur de morue à des fins commerciales.

Deschênes aura 77 ans lorsque son mandat se terminera.

« Au mieux, je deviendrai un ex-bandit. Je ne suis pas fier de ça », a-t-il indiqué, en riant.

Pour la première fois depuis 20 ans, Christian Deschênes fait un premier pas vers la liberté. Les commissaires aux libérations conditionnelles du Canada lui ont permis d’aller en maison de transition durant six mois. Pour les trois premiers mois de sa semi-liberté, Deschênes devra revenir tous les soirs à sa maison de transition. Il devra également respecter ls conditions décrites ci-haut.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.