La Sûreté du Québec (SQ) soupçonne un huitième meurtre conjugal en huit semaines sur le territoire québécois, a appris La Presse.

Selon nos informations, les policiers qui enquêtent sur la découverte de deux dépouilles dans le Grand Nord de la province, jeudi dernier, ont déterminé qu’il s’agissait d’un couple et s’orientent vers le scénario du meurtre suivi d’un suicide. C’est aussi la compréhension du maire du village et de la famille de la victime.

Kataluk Paningayak, 43 ans, a été retrouvée sans vie dans le même appartement du village d’Ivujivik que son conjoint Peter Ainalik, 44 ans. L’homme traînait un lourd casier judiciaire émaillé de condamnations pour voies de fait, comprenant quatre peines de prison dans les trois dernières années. Il avait des antécédents en matière de violence conjugale envers Mme Paningayak, ainsi que d’agression sexuelle.

« Combien de fois je lui ai dit de le laisser tomber ? Mais elle ne l’a jamais fait », a raconté Louisa Paningayak, l’une des filles de la victime, en entrevue avec La Presse lundi soir. « Je n’aimais pas les voir ensemble. Au début, ça allait bien », a-t-elle continué, précisant que la relation avait commencé en 2018.

Après un an ensemble, les coups ont commencé, et il a commencé à la maltraiter.

Louisa Paningayak, l’une des filles de la victime

La jeune femme a tenu à passer un message « à toutes les femmes qui liront l’article » : « S’il vous plaît, s’il vous plaît, si votre conjoint ou votre époux vous bat ou vous fait mal, laissez-le », a-t-elle déclaré.

« Je vais garder un bon souvenir de ma mère. Elle était une bonne mère pour ses cinq filles et sa fille adoptive. Elle était [aussi] la grand-mère de ma fille et la grand-mère de mon fils. »

La fin de semaine dernière, Louisa Paningayak a lancé un appel à la générosité afin de pouvoir se payer un billet d’avion vers Ivujivik et soutenir financièrement la famille pendant cette période difficile. Une campagne a été mise en place sur la plateforme GoFundMe.com.

Des autopsies imminentes

Ivujivik est le village le plus nordique du Québec. Il compte à peine 400 résidants. On ne peut s’y rendre qu’en avion.

La SQ a indiqué n’avoir fait aucune arrestation dans ce dossier, ne rechercher aucun suspect et ne pas avoir alerté la population du village concernant une menace particulière à la sécurité publique. Lundi, le corps de police ne voulait toutefois pas confirmer que le meurtre conjugal était effectivement la thèse privilégiée par ses enquêteurs.

« C’est effectivement une hypothèse qui est étudiée », s’est limitée à dire la porte-parole Ann Mathieu, lundi.

Ce n’est pas terminé, les enquêteurs sont encore sur place.

Ann Mathieu, de la Sûreté du Québec

Les autopsies sur les deux dépouilles auront lieu ce mardi à Montréal.

La SQ a pris le relais du Service de police du Nunavik dans ce dossier en raison de la gravité des faits.

Si la thèse du féminicide se confirme, Kataluk Paningayak deviendrait la huitième femme tuée dans un contexte conjugal au Québec en huit semaines. Elisapee Angma, Marly Édouard, Nancy Roy, Myriam Dallaire, Sylvie Bisson, Nadège Jolicœur et Rebekah Harry ont toutes été tuées depuis le début du mois de février. Dans presque chacun des cas, un conjoint ou un ex-conjoint est accusé ou soupçonné du crime.

Mme Paningayak est aussi la cinquième femme inuite qui aurait été tuée par un conjoint violent depuis deux ans au Nunavik. La région de 14 villages isolés ne compte que 14 000 habitants, mais la violence intrafamiliale y est un fléau.

« Le village est sous le choc »

Le maire d’Ivujivik, Salimuni Qavavauk, a expliqué qu’il participait à une partie de bingo à la radio communautaire locale, jeudi soir, lorsqu’il a appris qu’un drame frappait sa communauté. Le jeu a été aussitôt interrompu.

« Le village est sous le choc », a-t-il relaté depuis son bureau dans l’édifice municipal. « Les gens sont endeuillés. »

C’est M. Qavavauk qui a dû dégager puis ouvrir les portes de la petite morgue locale, à la demande des policiers.

KATIVIK REGIONAL GOVERNMENT

Salimuni Qavavauk, maire d’Ivujivik

Les familles portent le deuil, et la communauté diffuse des messages sur la radio pour leur dire de ne pas avoir honte, que la vie doit continuer. 

Salimuni Qavavauk, maire d’Ivujivik

Deux profonds problèmes

Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, a poussé un soupir en entendant qu’un huitième féminicide aurait eu lieu en huit semaines au Québec.

À son avis, les problèmes de violence conjugale dans le Grand Nord du Québec se trouvent à la croisée de deux problèmes profonds : la prévalence de ces problèmes dans les communautés autochtones et les problèmes d’accès physique au soutien dans les régions éloignées.

Il y a trois maisons d’hébergement au Nunavik reconnues et financées par le gouvernement du Québec. Le déploiement [des ressources] sur le territoire, c’est un aspect critique, même dans les autres régions.

Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes

Mme Monastesse a souligné que, selon Statistique Canada, une femme autochtone avait huit fois plus de risques que la moyenne des femmes canadiennes d’être victime de violence conjugale grave.

Chez les Inuits, « certaines personnes sont encore attachées à l’idée religieuse de rester avec leur époux jusqu’à ce que la mort les sépare. Ça a un impact important. C’est une idée qui influence encore beaucoup les gens », avait expliqué l’an dernier Lizzie Aloupa, qui a longtemps été agente de prévention au sein de la police locale, à La Presse.

La pénurie criante de logements dans laquelle le Nunavik est plongé depuis des années peut faire en sorte qu’une femme refuse de quitter la maison familiale, faute de solution de rechange acceptable. Mme Aloupa préconise aussi des peines de prison plus longues pour mettre les conjoints violents hors de portée.