Il a demandé deux fois la récusation du magistrat, fait témoigner un « troll » qui vient d’être accusé de menaces envers François Legault et tenté d’invalider un jugement en disant avoir des « preuves » de corruption judiciaire. Le leader antimasque Mario Roy, accusé de quatre outrages au tribunal pour avoir violé une ordonnance lui interdisant de faire des actes réservés aux avocats, n’a toutefois pas réussi à faire sortir le juge André Vincent de ses gonds.

Au terme d’un procès de quatre jours qui s’est conclu jeudi, lors duquel le juge Vincent a dû rappeler à plusieurs occasions à M. Roy la nature des accusations qui pesaient sur lui, le défendeur a plaidé son innocence. Il maintient avoir le droit de déposer des accusations criminelles contre des politiciens qu’il juge corrompus et de donner son opinion sur le droit dans le but d’« aider son prochain ».

M. Roy est l’une des figures de proue du mouvement antimasque. Il a notamment participé au blocage du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine samedi dernier, en marge d’une manifestation contre les mesures sanitaires. Il prétend depuis des années qu’il existe un « réseau d’enlèvement d’enfants » au sein de la Direction de la protection de la jeunesse, duquel le Barreau du Québec serait « complice ».

Depuis avril dernier, il mène une cabale contre Horacio Arruda et François Legault, contre qui il dit « préparer » et « monter » des procédures judiciaires pour les faire accuser au criminel d’abus de confiance, de fabrication de preuve, de négligence criminelle, de séquestration et d’« encouragement au génocide », en lien avec les mesures sanitaires imposées au Québec.

Il est en guerre ouverte depuis 2017 contre le Barreau, qui l’accuse de faire illégalement des gestes réservés aux avocats.

Une ordonnance rendue en mai 2018 par le juge Jean-Guy Dubois lui interdit de donner, ou même de prétendre donner, des avis juridiques, de préparer des requêtes ou des procédures judiciaires, ou encore de plaider devant les tribunaux pour toute autre cause que celles qui le visent.

Or, depuis le début de la pandémie, M. Roy a diffusé sur Facebook de nombreuses vidéos défiant cette ordonnance du juge Dubois. « J’avise l’esti de Barreau que [s’ils] veulent m’accuser d’outrage, je m’en câlisse ! », a-t-il dit dans l’une de ces vidéos. Il prétend aussi avoir « créé une jurisprudence » qui lui permettrait de procéder à l’« arrestation citoyenne » de politiciens, de policiers, d’avocats et même de juges. « Il va y avoir des arrestations civiles de la part de Patriotes », a-t-il promis dans une autre de ses vidéos, dans laquelle il invitait les policiers à prendre sa poursuite criminelle contre le premier ministre au sérieux.

Ses nombreuses déclarations, vues par plusieurs dizaines de milliers de personnes sur Facebook, lui ont valu quatre chefs d’accusation d’outrage au tribunal, « seul remède possible » pour empêcher M. Roy de continuer d’interpréter le droit illégalement, selon le Barreau.

Demandes de récusation

Devant la cour, M. Roy a soutenu que cette ordonnance lui interdisant de faire des actes réservés aux avocats provenait d’un « jugement faussé » du juge Dubois. Ce jugement aurait, selon lui, été rédigé en catimini par l’avocat du Barreau, Claude G. Leduc, plutôt que par le juge lui-même. « J’ai les aveux du juge Dubois », a annoncé M. Roy devant le tribunal, voulant faire entendre une « preuve » audio de la chose.

« Attaquer l’intégrité d’un juge, c’est sérieux », lui a rétorqué le juge Vincent.

Ce que vous êtes en train de faire discrédite l’administration de la justice.

Le juge André Vincent, s'adressant à Mario Roy

M. Roy, qui se défendait seul, a alors demandé la récusation du juge « pour motif de sarcasme ». Le juge a refusé.

M. Roy est revenu à la charge avec sa demande de récusation le lendemain matin, en évoquant cette fois la prétendue inconstitutionnalité de la nomination du juge Vincent comme juge surnuméraire de la Cour supérieure. Sa demande tenait sur un argumentaire échevelé basé sur l’abolition du Conseil législatif en 1968, dont il n’a pas été en mesure de citer la source.

Le « troll » Pierre Dion appelé comme témoin

M. Roy a également fait témoigner Pierre Dion, figure bien connue de la complosphère, déjà reconnu coupable d’incitation à la haine pour ses vidéos sur les réseaux sociaux.

Le témoin, qui s’est présenté devant le juge avec un couvre-visage portant la mention « Fuck Arruda », a déjà été incarcéré en décembre pour des menaces proférées à l’égard de François Legault. M. Roy l’a fait venir à la barre pour se disculper d’une vidéo dans laquelle il lui aurait illégalement donné des avis juridiques, selon le Barreau.

M. Roy a aussi appelé à la barre un ancien avocat, Michel LeBrun, qui a démissionné du Barreau après avoir défendu une thèse discréditée selon laquelle la Cour du Québec n’était pas « constitutionnellement fondée » en raison de l’abolition du Conseil législatif en 1968. M. LeBrun a tenté, sans succès, de faire tomber les accusations visant Mario Roy en affirmant que l’ordonnance lui interdisant de faire des actes réservés aux avocats n’avait pas été prononcée dans le cadre d’un procès tenu devant un « tribunal de jurés ».

« On va arrêter ça là », a immédiatement tranché le juge André Vincent. « Je dois vivre dans une société de droit, dans laquelle je suis lié, moi, par le droit, et non par l’interprétation différente que tout un chacun pourrait en faire », a-t-il expliqué.

Le juge, généralement très calme, avait l’obligation d’accompagner M. Roy au travers de la mécanique juridique puisqu’il se défendait seul, tout en demeurant impartial. Les deux hommes ont, à de nombreuses occasions, échangé des blagues, malgré le contexte tendu.

M. Roy a reconnu qu’il « risqu[ait] la prison » s’il était déclaré coupable des actes qui lui sont reprochés. Chacun des quatre chefs peut lui valoir 10 000 $ d’amende et jusqu’à un an moins un jour d’incarcération.

Le juge Vincent a pris l’affaire en délibéré et devrait rendre son jugement d’ici deux semaines.

Une version précédente de ce texte indiquait erronément que Pierre Dion a été reconnu coupable de menaces envers François Legault. Il a plutôt été accusé et détenu pour menaces, mais son procès n’a pas encore eu lieu. Il a été libéré sous conditions moyennant une caution de 5000$. Nos excuses.