Ayant eu gain de cause cette semaine contre Québec pour ce qu’il considérait comme un congédiement déguisé, l’ex-numéro 2 de l’UPAC se livre à La Presse

« On est des gens fiers. On est investis d’une mission et on veut la faire. On est sur la ligne de feu, et soudain, du jour au lendemain, on se retrouve à la maison, à regarder l’aiguille trotter sur l’horloge », décrit Marcel Forget.

Enquêteur de la première heure au sein de l’escouade de lutte anti-motards Carcajou en 1995, ancien patron de la Division du crime organisé de la Sûreté du Québec et ex-responsable de la sécurité chez Aéroports de Montréal, Marcel Forget a été approché par l’ancien commissaire à l’Unité permanente anticorruption Robert Lafrenière et est devenu sous-commissaire au Service de la vérification de l’UPAC en 2013.

Mais le 30 novembre 2017, sa vie, et celle de ses proches, a basculé.

À la suite de différentes allégations publiées dans des médias, voulant notamment qu’il ait investi de grosses sommes dans des condominiums et qu’il se soit agi « d’un grave manquement éthique », le gouvernement l’a poussé vers la porte, lui donnant trois minutes pour démissionner, sans quoi il serait congédié. Il a alors griffonné une lettre de démission sur le coin de son bureau et son départ de l’UPAC a été annoncé.

Après avoir été « démoli », Marcel Forget a peu à peu remonté la pente et a poursuivi le Procureur général du Québec pour ce qu’il considérait comme un congédiement déguisé.

La semaine dernière, une juge de la Cour supérieure, chambre civile, lui a donné raison, en décochant des flèches envers le gouvernement. Celui-ci peut toutefois encore en appeler de la décision.

Une situation abominable

Durant trois ans et demi, Marcel Forget a mangé son pain noir et a été « radioactif », comme il le dit.

Sans vouloir commenter les dossiers du directeur général de la Sûreté du Québec en titre, Martin Prud’homme, relevé de ses fonctions depuis deux ans, jour pour jour, et de l’inspecteur André Boulanger et de la lieutenante Caroline Grenier-Lafontaine, qui, depuis plus de deux ans, font l’objet d’une enquête du BEI sur les fuites à l’UPAC qui pourrait encore se prolonger de deux autres années, il compatit avec eux.

« Je peux comprendre dans quel état d’esprit [Martin Prud’homme] est. Le fait qu’il soit obligé de se défendre pour rétablir sa réputation. C’est abominable, je l’ai vécu durant trois ans et demi. On est abandonné à soi-même, sans aucun soutien, sans aucune écoute. C’est une pression et des préjudices incroyables pour les personnes et leur famille. L’impact sur les humains est “incalculé” et incalculable. Le temps requis pour faire les enquêtes est incalculable pour ceux qui le vivent », dit-il.

La réputation avant l’argent

Le 30 novembre 2017, Marcel Forget s’est évanoui dans les toilettes de l’UPAC et a ensuite souffert d’un trouble de stress post-traumatique. Il a dû s’expliquer aux membres de sa famille, à ses amis et à ses voisins.

Sa fille, elle-même policière, et son fils ont dû affronter des commentaires et défendre l’intégrité de leur père.

Contrairement à la plupart des policiers relevés de leurs fonctions, Marcel Forget a perdu du jour au lendemain son salaire de 165 000 $, plus les avantages sociaux.

Il dit que sa famille a dû faire d’importants sacrifices et qu’il a « hypothéqué et réhypothéqué » tout ce qu’il pouvait pour se défendre. Au départ, l’ancien policier réclamait près de 3 millions au gouvernement. La juge lui a donné raison et a ordonné au Procureur général du Québec de lui verser 420 000 $, alors que toute cette affaire avait coûté à M. Forget près de 300 000 $ en frais d’avocat.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Marcel Forget, l’ex-numéro 2 de l’UPAC, durant son procès civil contre l’État

C’est le jugement qui était pour moi le plus important. L’argent n’avait pas d’importance. Ce que je voulais le plus, c’était retrouver ma fierté, ma dignité et ma réputation, car jusque-là, je n’avais eu aucune tache à mon dossier.

Marcel Forget, ex-numéro 2 de l’UPAC

« Je suis tellement heureux. Ç’a été quatre années d’enfer. Avec ma famille, on a vécu des choses terribles. Je me promène maintenant dans la rue sans avoir peur que les gens me reconnaissent. Ça me redonne foi en la justice », affirme Marcel Forget, en remerciant la Cour et ses avocats.

Aucune amertume

« Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose », dit Marcel Forget, en reprenant un adage inspiré d’un écrit de Voltaire. C’est qu’il craint d’être toujours hanté par 30 textes présents sur Google qui rapportent ses démêlés d’avant jugement et espère que celui-ci viendra rétablir l’équilibre lorsqu’un futur employeur fera des recherches sur lui sur l’internet.

Parce qu’à 61 ans, Marcel Forget veut continuer à travailler et n’exclut rien, même œuvrer pour l’État, malgré le traitement qu’il a reçu il y a quatre ans.

« Je ne suis pas amer envers le système. J’aimerais réintégrer la fonction publique. J’ai encore la flamme. J’ai servi l’État toute ma vie et j’ai encore le goût de le servir. Je crois encore à l’État. Partout où je suis passé, j’ai croisé des gens engagés et motivés. C’est une poignée de personnes qui ont fait que je me suis retrouvé dans cette situation », explique M. Forget.

Il dit qu’il travaillerait même de nouveau pour l’ancien commissaire de l’UPAC, Robert Lafrenière.

Il était la personne que les gens qui s’en sont pris à moi voulaient faire tomber. Mais ils n’ont pas réussi, alors ils s’y sont pris par la porte d’en arrière.

Marcel Forget

Marcel Forget a recommencé à travailler ; il est « coach de gestion » et donne des formations en « leadership mobilisant ». Il aimerait donner des conférences pour raconter son histoire.

« Si cela peut aider quelqu’un ! Et je veux laisser cet adage comme legs à mes enfants : Quand, dans la vie, tu te bats pour une chose en laquelle tu crois, va jusqu’au bout… », conclut-il.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.