La comparution hautement médiatisée de Mamadi III Fara Camara a donné lieu à un coup de théâtre mercredi : l’homme de 31 ans accusé de tentative de meurtre sur un policier a été relâché au palais de justice. Une caméra du ministère des Transports a révélé la présence d’un autre véhicule et d’un autre individu sur la scène de l’agression le 28 janvier dernier, dans Parc-Extension, a appris La Presse. C’est donc un retour à la case départ, puisqu’une autre personne est actuellement recherchée.

Selon nos informations, les images de cette caméra fixe près du boulevard Crémazie, où a eu lieu l’interception qui a tout déclenché, révèlent notamment qu’un troisième véhicule circulait lentement près du véhicule de patrouille de l’agent Sanjay Vig et de la voiture de Camara. Un individu en est sorti un peu plus tard.

Mercredi soir, au moment d’écrire ces lignes, les policiers tentaient toujours d’identifier ce troisième individu. Selon des informations recueillies par La Presse, la présence cruciale d’un troisième véhicule sur la scène a échappé aux policiers qui ont visionné les images vidéo du ministère des Transports, dans les heures qui ont suivi l’agression du policier. Ces images vidéo ont fait l’objet d’un autre visionnement par la police, dans les heures qui ont précédé l’abandon des accusations contre M. Camara, mercredi.

D’après nos renseignements, ce seraient des enquêteurs qui ont prévenu la poursuite de l’existence de cette nouvelle preuve qui a mené à la libération de Mamadi III Fara Camara.

Sauvage agression

Le soir du 28 janvier, l’agent Sanjay Vig a intercepté Mamadi III Fara Camara parce que ce dernier avait manipulé son cellulaire au volant et il lui a remis un constat d’infraction dont le montant s’élèverait à plus de 500 $.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

L'auto-patrouille de l'agent Sanjay Vig

Alors qu’il retournait à son véhicule de patrouille, l’agent a été frappé derrière la tête avec un bâton de métal. Puis son agresseur a continué de le frapper. L’agent a-t-il dégainé son arme pour se protéger et le suspect s’en est-il emparé, ou est-ce le suspect qui l’a désarmé ? Quoi qu’il en soit, ce dernier s’est retrouvé avec le pistolet de service du policier.

Voyant cela, l’agent Vig a alors pris la fuite en courant, poursuivi par le suspect qui aurait tiré deux coups de feu en sa direction, dont une fois à plus de 100 mètres des lieux de l’interception, vraisemblablement sans l’atteindre. Après une course-poursuite sur une distance de deux pâtés de maisons, le policier a trouvé refuge chez un couple, dans un logement de l'avenue de l’Épée. Une fois en sécurité, c’est lui qui aurait dit à ses collègues que le suspect était le dernier automobiliste qu’il avait intercepté.

Selon nos informations, après l’agression, Mamadi III Fara Camara aurait communiqué avec le 911, déclaré qu’un homme avait attaqué le policier et décrit le suspect. La police a pensé au départ que cet appel était destiné à mettre les limiers sur une fausse piste, mais l’enquête qui se poursuit le déterminera.

De plus, Mamadi III Fara Camara avait quitté son véhicule après l’agression et il y serait revenu au moment où d’autres policiers, appelés en renfort, étaient déjà arrivés sur la scène, ce qui aurait suscité leurs interrogations. « Le danger pour les policiers, c’est d’être guidés par les émotions lorsqu’ils enquêtent sur une agression dont a été victime l’un des leurs », nous a dit un policier qui a requis l’anonymat, car il n’est pas autorisé à parler aux médias.

Pour des observateurs et policiers, si Camara n’est pas celui qui a commis le crime, cela expliquerait le fait que l’arme de l’agent n’a toujours pas été retrouvée.

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Mamadi III Fara Camara et sa conjointe Sarah Diawara

Un coup de théâtre

C’est en homme libre que Mamadi III Fara Camara est finalement sorti du palais de justice de Montréal mercredi. Dans un revirement hors du commun, le scientifique sans histoire accusé d’avoir tenté de tuer un policier a été libéré des graves accusations portées contre lui. La Presse a tenté de joindre le principal intéressé mercredi soir, mais il n’a pas été possible de le faire.

Détenu depuis quelques jours, l’homme devait subir mercredi son enquête sur remise en liberté. Mais la Couronne a causé la surprise générale. « Nous estimons à ce stade-ci qu’il n’est plus possible de soutenir les accusations qui sont portées à l’égard de M. Camara », a lancé la procureure, MAnne-Andrée Charrette. Le suspect clamait son innocence depuis son arrestation.

La juge Karine Giguère a alors ordonné la libération immédiate de M. Camara, visiblement soulagé. Sa conjointe, enceinte de jumeaux, s’est effondrée en larmes lorsqu’elle a pu le prendre dans ses bras dans la salle d’audience. Il est rarissime qu’un accusé puisse sortir sur-le-champ de cette façon.

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Une dizaine de ses proches ont applaudi Mamadi III Fara Camara à sa sortie de la salle d’audience, au palais de justice de Montréal, mercredi.

À l’extérieur de la salle, une dizaine de proches attendaient Mamadi III Fara Camara. Ils l’ont accueilli sous un tonnerre d’applaudissements. Des proches ont exprimé leur soulagement et leur incompréhension devant la teneur de ces accusations qui ne concordait pas avec le tempérament de leur ami.

Nous savions que ce n’était pas ce genre de personne. Nous étions éberlués. Tout est bien qui finit bien. On l’a libéré.

Un proche de Mamadi III Fara Camara, qui a aussi réclamé des excuses des autorités

L’avocat de la défense, MCédric Materne, a aussi mentionné que son cabinet avait « travaillé d’arrache-pied dans les derniers jours » sur ce dossier et que « tout le monde [était] soulagé » de la libération de son client.

Suspendu de ses fonctions de chargé de laboratoire à Polytechnique à la suite de son arrestation, M. Camara pourra finalement réintégrer l’université. « La communauté de Polytechnique Montréal est soulagée pour lui et ses proches. M. Camara sera rencontré pour discuter de sa réintégration sur le campus et dans ses fonctions. Un soutien lui sera offert », a indiqué l’établissement.

Montréal veut des réponses

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, s’est dite « troublée par ce que M. Camara a subi ». « Je m’attends à ce que la lumière soit faite rapidement sur ce qui s’est passé, et que l’enquête se poursuive pour trouver le ou les réels fautifs. Le retrait d’accusations aussi graves est exceptionnel », a-t-elle martelé.

On doit avoir des réponses claires sur ce qui est arrivé afin de préserver la confiance du public à l’égard du travail policier.

Valérie Plante, mairesse de Montréal

L’opposition officielle a aussi demandé des comptes. « En considérant la gravité des chefs d’accusation et du revirement de situation d’aujourd’hui, il nous faut une enquête indépendante pour expliquer ce qu’il s’est passé lors de cette intervention du SPVM », a estimé Lionel Perez, chef d’Ensemble Montréal.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), de son côté, a indiqué qu’il n’avait pas l’intention de commenter le dossier pour le moment. « Compte tenu du fait que l’enquête suit son cours, nous ne commenterons pas davantage ce dossier pour le moment », a aussi indiqué la porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), MAudrey Roy-Cloutier.

Erreurs à bannir

Pour l’avocat criminaliste Hugo d’Astous, le cas de Mamadi III Fara Camara illustre encore une fois l’importance du processus d’identification qu’il faut mieux encadrer au Québec et au Canada.

« Visiblement, ça n’a pas été fait par ADN ou par empreintes digitales, mais bien visuellement. Or, on le sait : l’identification visuelle est un terreau fertile à bien des erreurs judiciaires », dit-il, en rappelant que la Commission d’enquête entreprise dans l’affaire Thomas Sophonow avait déjà mis en garde contre cette pratique, il y a plusieurs années déjà.

D’après MWalid Hijazi, aussi avocat criminaliste, la possibilité d’une contre-poursuite est réelle, mais pareille opération s’avérerait complexe.

Poursuivre l’État pour dommages et intérêts, ça reste très difficile et délicat. Dans ce cas-ci, il faudrait prouver qu’il y a eu mauvaise foi, malice ou négligence grossière de la part des policiers.

Walid Hijazi, avocat criminaliste

« La question qui va se poser maintenant, c’est comment on a identifié le contrevenant la première fois, ajoute MHijazi. Dans toutes les causes criminelles, l’identification est un enjeu très important. Les dernières années ont démontré que quand un innocent est envoyé en prison, c’est souvent parce que cette identification est défaillante. »

— Avec Véronique Lauzon, Philippe Teisceira-Lessard et Patrick Lagacé, La Presse

Fonds pour de bons Samaritains

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Gurmit Singh et Santokh Kour

Une campagne de sociofinancement a été mise sur pied mercredi pour soutenir et remercier Gurmit Singh et Santokh Kour, qui avaient ouvert leur porte et abrité le policier Sanjay Vig. Plus tôt, La Presse rapportait que ce couple de réfugiés indiens habitant Parc-Extension s’est installé au Canada après des persécutions dans son pays d’origine. N’ayant pas obtenu de visa canadien, leur fille de 14 ans est toutefois restée en Inde, et habite actuellement avec ses grands-parents. Plus de 15 000 $ avaient été recueillis mercredi pour « faciliter le rapatriement de la fille de Mme Kour et M. Singh », affirme l’instigateur de la campagne. La somme obtenue « aidera aussi la famille à subvenir à leurs besoins pendant la période de chômage de M. Singh », qui a récemment perdu son emploi.

Le fil des évènements

28 janvier

Le SPVM annonce qu’un de ses policiers a été frappé avec un objet en métal, lors d’une interception de routine. On apprendra peu après que le suspect aurait ensuite volé son pistolet, pour ensuite tirer à deux reprises dans sa direction.

29 janvier

Mamadi III Fara Camara est accusé de tentative de meurtre avec une arme à feu. Il risque alors une très lourde peine de prison et est placé en détention.

30 janvier

Des enquêteurs de l’Unité des crimes majeurs du SPVM déploient un poste de commandement dans Parc-Extension, afin de récolter davantage d’informations et d’indices dans cette affaire.

1er février

En salle d’audience, la défense tente d’obtenir la remise en liberté de Mamadi III Fara Camara en attendant la suite des procédures, mais en vain.

3 février

Contre toute attente, l’homme dans la trentaine est libéré de toutes les accusations qui pesaient sur lui. Il quitte le palais de justice en homme libre.