(Québec) Le procès de l’ancien éditorialiste du Devoir Michel Venne a commencé lundi par le témoignage de la plaignante, qui l’accuse de l’avoir agressée alors qu’elle n’avait que 17 ans et qu’elle était sa stagiaire à l’Institut du Nouveau Monde (INM), l’organisme de réflexion qu’il a fondé.

La femme aujourd’hui âgée de 29 ans a raconté dans son témoignage au palais de justice de Québec comment elle avait été « sous le choc », « écœurée », « dégoûtée » quand M. Venne a tenté de mettre sa main dans son pantalon.

La plaignante a aussi raconté, enregistrement à l’appui, comment la première ministre d’État à la Condition féminine, Lise Payette, a sollicité une rencontre avec elle pour tenter de la dissuader de porter plainte contre Venne et lui a fait signer une lettre pour blanchir ce dernier.

Michel Venne, 60 ans, est accusé d’agression sexuelle et d’exploitation sexuelle. Il plaide son innocence. Rappelons qu’une ordonnance de non-publication interdit de nommer la plaignante.

« Dégoûtant »

Celle-ci avait obtenu à l’été 2008 un stage à l’INM, un organisme de réflexion dirigé à l’époque par Michel Venne. La jeune femme venait de finir son secondaire V.

Au mois d’août, l’INM organisait comme tous les étés son École de citoyenneté pour les jeunes. L’évènement avait lieu à Québec.

La plaignante a raconté comment elle s’était retrouvée dans un taxi qui arpentait les rues de la capitale, avec M. Venne et sa compagne. L’homme aurait mis sa main sur sa cuisse, près de sa culotte. Elle a trouvé ça « bizarre » et « inconfortable ».

Puis un soir, quand elle rentrait à son hôtel sa journée de travail terminée, Michel Venne l’aurait suivie dans la rue.

« Je suis en avant de l’hôtel, et puis Michel Venne est devant moi et me dit “ça va rester entre nous” », a-t-elle raconté devant le juge Stéphane Poulin, de la Cour du Québec.

« Il a mis sa main sur ma hanche et l’a approchée de mes parties intimes. Il a mis sa main là et j’étais figée et dégoûtée de ça », a-t-elle dit.

L’homme aurait tenté de mettre sa main dans son pantalon. Elle a raconté s’être figée, puis avoir dit « non » et « va-t’en ». « J’ai trouvé ça dégoûtant. Il avait l’âge de mon père. »

La plaignante a expliqué qu’elle n’avait pas porté plainte à la police à l’époque, car elle ne savait pas alors qu’il s’agissait d’une agression sexuelle. « Je ne voulais pas que ça se sache, que ça se répande. J’avais un peu honte de ça, à 17 ans », a-t-elle ajouté.

Michel Venne lui aurait ensuite demandé de la rencontrer dans un café de Montréal quelques jours plus tard. Elle croyait que c’était pour s’excuser. Mais l’homme lui aurait plutôt dit que « ce qui s’est passé à Québec allait rester à Québec ».

« Moi aussi »

La jeune femme a ensuite détaillé les raisons qui l’ont amenée à porter plainte à la police, neuf ans après les évènements.

En 2014, une campagne de dénonciations d’agressions sexuelles surgit dans les réseaux sociaux, dans la foulée de l’affaire Jian Ghomeshi. La plaignante écrit alors « Moi aussi » dans un message sur son compte Twitter, qui comptait environ 12 000 abonnés, puis l’efface immédiatement.

Des journalistes la contactent pour qu’elle raconte son histoire. Puis en novembre 2015, elle dit que Lise Payette l’invite chez elle à discuter.

« Je me suis dit “oh wow, Mme Payette me convie chez elle”. C’est la première ministre de la Condition féminine, avec un parcours remarquable. J’avais lu ses livres. C’est une figure marquante pour moi », s’est souvenue la jeune femme.

Après une longue conversation « passionnante », Mme Payette aurait changé de ton. Elle accuse la plaignante d’avoir « fait du tort à un ami », en l’occurrence M. Venne. Elle l’aurait convaincue d’écrire une lettre d’excuses pour prendre ses « distances des allégations » et blanchir l’homme.

Lise Payette enregistrée

La même année, le quotidien Le Devoir se cherche un nouveau directeur. Michel Venne est parmi les candidats et la lettre d’excuses de la plaignante se serait même retrouvée entre les mains du conseil d’administration du Devoir, selon des éléments entendus en cour. Michel Venne n’a finalement pas obtenu le poste.

La plaignante a dit qu’elle avait signé la lettre en 2015, car elle se sentait « intimidée ». Mme Payette lui aurait dit que sa dénonciation pourrait briser la famille de l’homme et qu’il était « au bord du suicide ».

En octobre 2017, la jeune femme a rappelé Lise Payette. Elle a enregistré la conversation à son insu. La discussion de 23 minutes a été présentée au tribunal, mais le juge n’a pas encore décidé si la preuve serait admise.

On y entend la plaignante demander à Mme Payette pourquoi elle lui a fait signer la lettre. « Je trouvais ça triste que sa femme et ses enfants soient obligés de payer le prix de ses niaiseries. C’est ce que j’ai essayé d’éviter », lui répond notamment Mme Payette.

Elle indique aussi qu’elle voulait protéger la jeune femme. « Moi, ma conviction profonde c’est qu’on a fait quelque chose de bien, qui ne fait pas de mal autour, qui te protège, toi. C’était ça l’objectif », entend-on dire Mme Payette.

Lise Payette, morte en septembre 2018, laisse entendre que la lettre signée par la jeune femme a ensuite été remise à M. Venne. « Probablement qu’il l’a envoyée au Devoir puisqu’il prétendait aller chercher ce poste-là, qu’il n’a pas eu », ajoute-t-elle.

Le contre-interrogatoire de la plaignante a eu lieu en après-midi. L’avocate de la défense a notamment tenté de mettre en lumière des contradictions apparentes dans le témoignage de la jeune femme.

Le procès de Michel Venne doit durer deux semaines.