Raphaël « Napa » André est mort seul dans une toilette chimique à l’angle de la rue Milton et de l’avenue du Parc, à deux pas d’un refuge fermé qu’il avait l’habitude de fréquenter.

Le corps gelé et inerte de l’homme a été découvert dimanche matin par Lizzie Akpaahatak, qui le côtoyait depuis 10 ans dans la rue. « C’était un bon gars. Il était généreux. Il m’a déjà donné un peu d’argent », a-t-elle souligné, les larmes aux yeux, incapable d’en dire plus.

« Il n’y avait aucun signe laissant croire qu’il aurait été victime d’un acte criminel, alors l’affaire a été prise en charge par le Bureau du coroner », a indiqué le porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal, Julien Lévesque.

Homme costaud dans la cinquantaine originaire de Matimekush-Lac John, Raphaël André s’était établi près du campement Notre-Dame. Depuis son démantèlement, au début de décembre, il se rendait au centre d’accueil La Porte Ouverte. Il y était présent chaque jour la semaine dernière, et était toujours le dernier à quitter les lieux.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Raphaël André

Le centre est habituellement ouvert la nuit pendant l’hiver. Le 11 janvier, après une importante éclosion de COVID-19 qui a touché des usagers et 8 des 25 employés, la Santé publique a recommandé à l’établissement de fermer le soir. Sa capacité a aussi été réduite de jour.

On met des gens en danger. J’avais vu venir ce genre de tragédie, mais personne n’a voulu m’écouter ni m’entendre.

Mélodie Racine, directrice de La Porte Ouverte

« On aurait pu l’aider. Il a passé ses dernières heures caché dans une toilette en plein couvre-feu », s’indigne-t-elle.

À la suite d’une évaluation, une liste de 13 recommandations a été soumise à la direction et au conseil d’administration de l’organisme pour prévenir de futures éclosions. Le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal est toujours en attente de l’implantation de ces mesures, a-t-il indiqué par courriel..

« [Nous sommes] prêts à recommander la réouverture de la halte-chaleur la nuit si les mesures sanitaires seront appliquées et maintenues à la hauteur des directives du [ministère de la Santé et des Services sociaux]. Il est essentiel que ces mesures soient mises en place pour protéger la santé des usagers et des employés de l’organisme. Il [y] va aussi de la santé de tous les Montréalais. »

« On doit renvoyer des gens dans la rue à 21 h 30. Ça nous fait mal », a expliqué avec colère le coordonnateur du centre, John Tessier. La situation actuelle frappe de plein fouet les sans-abri autochtones, qui craignent la surveillance policière accrue et vivent de la discrimination dans certains refuges, selon lui.

« Il est important de rappeler que les itinérants de Montréal, en majorité des personnes autochtones, font face à des défis redoutables avec la peur de contracter la COVID-19 et le couvre-feu imposé par le gouvernement du Québec », a souligné l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador par communiqué.

« On l’a vraiment vu dépérir ces derniers temps. Il avait perdu ses repères. C’était une très bonne personne qui a eu plusieurs difficultés dans sa vie. Il va nous manquer », a ajouté l’intervenant.

Lundi matin, les employés et occupants du refuge avaient la mine basse et le regard atterré. Entre deux gorgées de café noir, on chuchotait le nom du défunt en évoquant le couvre-feu. On peinait à croire qu’il était mort à un jet de pierre du centre. Plusieurs regardaient un mur grisâtre où sont accrochés une vingtaine de portraits de sans-abri morts. « Des [habitués] qu’on a perdus. On ajoutera bientôt le portrait de Raphaël », a dit M. Tessier.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le coordonnateur du centre La Porte Ouverte, John Tessier, devant un mur où sont accrochés une vingtaine de portraits de sans-abri morts.

« Depuis une semaine, je pense qu’il se cachait des policiers durant le couvre-feu. Ça me fait de la peine de le perdre », a raconté Thomas, un usager de La Porte Ouverte.

M. André vivait avec un problème de consommation. John Tessier a souvent appelé l’ambulance au milieu de la nuit pour s’assurer de sa santé et de sa sécurité. C’est ce qu’il aurait fait si le défunt avait pu dormir au refuge.

« Les itinérants payent les frais de décisions bureaucratiques en ce moment », a-t-il laissé tomber.

Raphaël André avait passé la nuit précédente au refuge d’urgence de Projets autochtones du Québec (PAQ), ouvert par la Ville de Montréal au Complexe Guy-Favreau. Il y avait même passé un test de dépistage pour la COVID-19, a indiqué la directrice de PAQ, Heather Johnston.

Il passait souvent la nuit à notre refuge, il connaît les intervenants, on ne comprend pas pourquoi il n’est pas venu samedi soir.

Heather Johnston, directrice de Projets autochtones du Québec

Elle a souligné que les deux refuges administrés par PAQ avaient encore des places disponibles samedi soir.

« Certaines personnes n’aiment pas venir dans les refuges, mais ce n’est pas parce qu’on manque de places », insiste-t-elle.

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a indiqué dans une déclaration transmise par son attachée de presse que la Ville était en contact avec l’organisme La Porte Ouverte « depuis plusieurs jours afin de permettre la réouverture de la halte-chaleur pour assurer un lieu sécuritaire aux personnes en situation d’itinérance du secteur Milton-Parc la nuit ».

Cet évènement tragique réaffirme l’urgence de mettre à la disposition des personnes vulnérables des ressources adaptées aux différents besoins exacerbés par la crise sanitaire, a souligné la mairesse.

« Chaque décès dans ces circonstances est un décès de trop », a-t-elle ajouté, en offrant ses condoléances aux proches de Raphaël André et à l’ensemble de sa communauté.

Les partis d’opposition à Québec ont réagi unanimement en demandant au gouvernement de François Legault d’exempter les sans-abris du couvre-feu imposé à la population.