« C’est d’une injustice incroyable », lâche Anne-Marie Charette, sous le choc. Comme ses sœurs d’armes, la membre du collectif « Les Courageuses » digère mal le refus de la Cour suprême d’entendre leur appel pour autoriser une action collective contre Gilbert Rozon. Mais pas question de « baisser les bras », assure-t-elle.

Le plus haut tribunal du pays a mis fin aux espoirs des Courageuses d’obtenir collectivement justice contre l’ancien dirigeant de Juste pour rire. La Cour suprême a en effet annoncé lundi matin le rejet de l’appel pour autorisation d’une action collective à l’endroit de Gilbert Rozon, sans donner de motifs, comme c’est toujours le cas.

Cela signifie que le jugement partagé de la Cour d’appel du Québec rejetant la demande d’autorisation est maintenu. Les juges avaient infirmé en janvier dernier la décision de la Cour supérieure du Québec qui avait donné raison aux Courageuses. Un véritable coup dur pour le collectif de femmes qui affirment avoir été agressées ou harcelées sexuellement par Gilbert Rozon.

« La société est très lente à changer. C’est incroyable ! On est bouche bée. Je suis complètement chavirée », a commenté Anne-Marie Charette, quelques minutes après l’annonce de la Cour suprême.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Sur la photo, Patricia Tulasne, comédienne et porte-parole des Courageuses, au procès de Gilbert Rozon au palais de justice de Montréal.

La membre des Courageuses déplore le message envoyé par la Cour suprême en refusant d’entendre ainsi leurs arguments. « Ça aurait été symbolique, la Cour aurait montré une volonté de changement », estime Mme Charette.

À ses yeux, cette décision « blessante » de la Cour suprême s’ajoute à la rebuffade du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) qui a décidé de ne pas intenter de poursuites criminelles contre Gilbert Rozon pour la majorité des plaignantes. « Il y a quelque chose qui ne marche pas dans la Loi », observe-t-elle.

« Depuis le début […], nous avons répété que l’action collective ne pouvait être utilisée dans ce type de situation où chaque cas est individuel et doit être prouvé au cas par cas. Nous sommes très heureux que cela soit maintenant reconnu par la Cour Suprême, mettant fin ainsi à un processus que nous avons toujours considéré injustifié », a commenté Me Raymond Doray, l’avocat de M. Rozon, par l’entremise d’un porte-parole.

Elles réclamaient plus de 10 millions

L’action collective intentée en 2018 dans la foulée du mouvement #moiaussi visait « toutes les personnes agressées et/ou harcelées sexuellement par Gilbert Rozon » de 1982 à 2016. Les victimes réclamaient plus de 10 millions de dollars pour les dizaines de victimes potentielles.

Or, selon la Cour d’appel, les victimes alléguées de Gilbert Rozon n’avaient pas assez de points en commun pour justifier une action collective. Ainsi, le premier critère de la loi n’était pas rempli, puisque les membres de l’action collective n’auraient pas été victimes de faits « identiques, similaires ou connexes ». Notons que l’action collective vise généralement une entreprise, l’État ou une institution, comme l’Église.

« La nature des gestes varie grandement d’une personne à l’autre. Le contexte n’est pas toujours le même. […] Le présent cas est plutôt une série de fautes alléguées qui auraient été commises sur une période d’au moins 34 ans, chacune ayant sa propre trame factuelle », avait écrit le juge Stephen W. Hamilton de la Cour d’appel du Québec.

Contrairement à la Cour supérieure, le plus haut tribunal de la province n’a pas été convaincu que Gilbert Rozon a utilisé le même modus operandi pour cibler des femmes de son entourage et dans la sphère artistique. Essentiellement, les femmes visées par l’action collective proviennent de plusieurs milieux et n’étaient pas toutes sous l’influence de Gilbert Rozon.

Notons que le rejet de cette demande d’autorisation d’action collective n’empêche pas les plaignantes d’intenter individuellement des recours civils contre Gilbert Rozon. D’ailleurs, la Cour d’appel avait rappelé que le rejet de l’action ne devait pas « nécessairement entraîner un abandon des procédures ou une négation de la responsabilité de [M. Rozon] ».

La dissidence de la juge de la Cour d’appel Dominique Bélanger n’a donc pas suffi pour convaincre la Cour suprême d’entendre l’appel des Courageuses. La juge Bélanger relevait la ressemblance évidente des récits des victimes. Le modus operandi allégué de Gilbert Rozon présentait également « un caractère de similarité » à ses yeux.

Les déboires judiciaires de l’ancien dirigeant de Juste pour rire ne sont toutefois pas terminés. Son procès criminel pour viol et attentat à la pudeur se poursuit jeudi au palais de justice de Montréal pour les plaidoiries de la Couronne. Gilbert Rozon est accusé d’avoir agressé sexuellement une femme en 1980 dans les Laurentides. L’homme de 66 ans plaide son innocence.