(Québec) La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) somme Québec d’interdire de façon « urgente » les interpellations policières sans motif. L’organisme déplore que les gouvernements successifs n’aient pas adopté de politique gouvernementale de lutte contre le racisme, même si une recommandation en ce sens a été faite il y a près de 10 ans.

La CDPDJ a publié mercredi un bilan de la mise en œuvre des recommandations qu’elle avait faites en 2011 en matière de lutte contre le profilage racial. D’entrée de jeu, le président de la Commission, Philippe-André Tessier, ainsi que la vice-présidente, Myrlande Pierre, constatent que « la majorité des recommandations n’ont pas été mises en œuvre, ou ne l’ont été qu’en partie, et doivent être réitérées ».

Dans le milieu policier, par exemple, la Commission affirme qu’il est « urgent que cesse la surveillance ciblée des minorités racisées ». « Cette surveillance ciblée dans l’espace public se traduit par d’importantes disproportions dans les interpellations policières, comme le constatait le rapport Armony-Hassaoui-Mulone. Il convient de le répéter : les personnes autochtones et les personnes noires affichent des niveaux très élevés – entre quatre et cinq fois plus que les personnes blanches – quant à leur probabilité moyenne de se faire interpeller par le SPVM », note la CDPDJ.

Celle-ci déplore le fait que le ministère de la Sécurité publique et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont « choisi d’encadrer les interpellations aléatoires plutôt que de les interdire clairement ».

Contrer le racisme « systémique »

La vice-présidente de la CDPDJ, Myrlande Pierre, affirme que le gouvernement Legault doit présenter un plan de lutte contre racisme et la discrimination « systémiques ». Or, Québec refuse toujours à ce jour de reconnaître le caractère systémique du racisme. La création d’une politique gouvernementale de lutte contre le racisme et le profilage racial était « la première recommandation » du rapport de la Commission, publié en 2011. Presque 10 ans plus tard et malgré la succession de trois partis au pouvoir, rien n’a encore été fait.

Il est temps comme société qu’on pose ces enjeux de manière sérieuse et qu’on se dote d’une politique de lutte contre le racisme et la discrimination systémiques.

Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

En juin, alors que le monde était secoué par la mort de George Floyd aux États-Unis, le gouvernement Legault a reconnu que le racisme était aussi un problème au Québec et qu’il était nécessaire de créer un groupe d’action ministériel contre le racisme. « Un problème systémique demande des solutions systémiques. Cette politique gouvernementale devrait permettre d’établir des engagements fermes assortis d’échéanciers précis à respecter », martèle la CDPDJ.

Des mesures dès novembre

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, affirme que son gouvernement déposera en novembre « un plan d’action » contre le racisme et le profilage racial.

« Nous sommes tous au travail. Nous prenons cet enjeu très, très au sérieux. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on en parle au Conseil des ministres », assure-t-elle.

Pour la CDPDJ, « les attentes sont d’autant plus élevées que les actions tardent, malgré les nombreux rapports et consultations qui documentent les inégalités persistantes. Il est maintenant encore plus urgent d’agir par des mesures systémiques, ambitieuses, pérennes et concertées ».

Un système à changer ?

À la Ligue des droits et libertés (LDL), la présidente, Alexandra Pierre, affirme qu’il n’est « aucunement surprenant » de voir aussi peu de progrès depuis 2011. « Ça confirme qu’on fait très peu d’avancées au Québec contre le racisme systémique et le profilage racial », soutient-elle.

Son groupe, qui réclame d’ailleurs un moratoire sur la pratique des interpellations policières à Montréal, ne cache pas qu’il entretient une « certaine exaspération » à voir ces enjeux traités de manière électoraliste à l’Assemblée nationale. « Le gouvernement va devoir cesser de faire du racisme un enjeu partisan, sur le dos du droit à l’égalité des communautés », martèle Mme Pierre.

Le militant antiraciste Will Prosper, lui, affirme que le profilage persiste parce que les gouvernements et les corps policiers sont « intimement connectés ». Pour changer les choses, il envisage la création d’une « instance indépendante ». « Ça prend quelque chose pour avoir un juste retour du balancier. Et c’est possible de le faire. On est capables de révolutionner ce système-là », dit-il.

Les élus savent que s’ils changent quelque chose, les impacts seront grands. Ils n’ont pas le courage d’aller là, surtout que la plupart n’ont jamais subi de profilage.

Will Prosper, militant et documentariste

Fondateur de l’organisme Montréal en action, Balarama Holness est connu pour avoir forcé la Ville à tenir une consultation publique sur le racisme systémique, en récoltant 22 000 signatures citoyennes. À ses yeux, inciter les autorités à faire des gestes passe d’abord par une vraie mobilisation. « Il faut changer la façon dont on consulte la population, pour lui montrer qu’elle peut créer le changement. Faire tout ça à huis clos, dans notre château fort, ça n’aide en rien », dit-il.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Balarama Holness, fondateur de l’organisme Montréal en action et ancien candidat de Projet Montréal

Depuis la parution du rapport de l’Office de consultation publique de Montréal en juin, trois recommandations ont déjà été adoptées par l’administration Plante, dit Balarama Holness, dont la création d’un poste de commissaire à la lutte contre le racisme et la discrimination systémiques. Un signe que la mobilisation fonctionne, selon lui. « Quand des milliers de personnes participent, qu’on est très actifs et qu’on fait des suivis, on voit une différence », conclut l’ancien candidat de Projet Montréal.