« Je pense que c’est à nous de nous battre maintenant. Moi, aujourd’hui, je veux juste remercier la guerrière Joyce. Elle s’est battue jusqu’au bout pour essayer de se défendre elle-même et elle a trouvé un moyen pour enfin faire bouger les choses. »

Janis Ottawa a connu Joyce Echaquan, dont la mort, survenue lundi, continue d’ébranler le Québec à la suite de la diffusion d’une vidéo où elle se fait traiter d’« esti d’épaisse de tabarnouche » par une infirmière qui lui demande si elle a « fini de niaiser, câlisse ! ». Une femme timide, dit-elle, mère de sept enfants qui maîtrisait mal le français.

Le congédiement de l’infirmière, annoncé mardi par le premier ministre François Legault, a été suivi jeudi par le renvoi de la préposée impliquée dans l’évènement, à la suite d’une enquête interne menée par le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Lanaudière.

La famille de Joyce Echaquan annoncera vendredi qu'elle entame des poursuites judiciaires, notamment au civil, pour réclamer « une réparation juste et appropriée » en raison des circonstances entourant le décès de la femme, « combiné au traitement raciste et dégradant qu’elle a injustement et tristement subi ». C'est Me Jean-François Bertrand de Québec qui représente la famille. Une conférence de presse doit avoir lieu devant le Centre d'amitié autochtone de Lanaudière. Me Bertrand, les proches de Mme Echaquan ainsi que le chef de Manawan, Paul-Émile Ottawa seront présents.

PHOTO FOURNIE PAR JANIS OTTAWA

Janis Ottawa enseigne à l’école primaire de Manawan.

Janis Ottawa, 47 ans, enseigne à l’une des filles de Mme Echaquan à l’école primaire de la communauté atikamekw de Manawan, à deux heures et demie de route de Joliette. « Depuis le début de l’année scolaire, on a beaucoup parlé ensemble », confie-t-elle au téléphone.

« C’était une personne timide, qui ne parlait pas beaucoup et qui cherchait ses mots en français. Mais elle s’exprimait très bien en atikamekw. Moi, je communiquais le plus souvent en atikamekw avec elle et son mari, dans la langue maternelle, étant donné que j’enseigne uniquement dans cette langue. Mais c’était une bonne maman parce qu’elle répondait immédiatement chaque fois que j’avais des questions à lui poser. »

Si Janis Ottawa a une certitude, c’est que Joyce Echaquan ne serait pas morte si elle n’avait pas été admise au Centre hospitalier de Lanaudière.

« Moi, ce que je sais, c’est que Joyce n’aimait pas aller à ses rendez-vous à Joliette parce qu’elle avait toujours du mal à s’exprimer en français. Ce qu’elle dit en atikamekw dans la vidéo, c’est qu’elle cherchait de l’aide. Il ne fallait pas la laisser là, il fallait la sortir de là, parce qu’elle était vraiment maltraitée. Et ce n’était pas la première fois. Elle n’aimait pas, ça y aller. »

Mme Ottawa se sent à la fois triste, en colère et coupable de la mort de Mme Echaquan, qui avait 37 ans. « Le sentiment de culpabilité est très palpable dans notre communauté, explique-t-elle. On regardait la vidéo et personne n’est allé à temps la sortir de là. »

Porter plainte ?

Le mari de Janis Ottawa, mort d’un cancer du côlon en mai 2019, à 54 ans, a aussi été soigné au Centre hospitalier de Lanaudière. L’expérience est loin d’avoir été positive. « En février 2017, mon mari a consulté pour des douleurs abdominales insupportables, dit-elle. Il arrivait à ses rendez-vous et les infirmières n’étaient pas d’humeur à nous recevoir. Tu le voyais, c’était flagrant, une non-autochtone était bien reçue : “Eille ! Bonjour ! Ça va ?” Nous autres, on était reçus : “Donnez-moi le papier”, puis c’est tout. That’s it, that’s all », relate-t-elle.

Mme Ottawa a songé à porter plainte contre l’hôpital à la suite du décès de son mari parce qu’elle estime qu’il n’a pas été bien soigné. Mais elle y a renoncé, comme bien d’autres membres de sa communauté, dit-elle.

Je voulais porter plainte, mais je ne savais pas où aller, je ne savais pas par où commencer et combien ça pouvait me coûter de frais d’avocat.

Janis Ottawa

« On dirait que les gens avaient peur autour de moi quand j’en parlais. Même moi, ça m’a convaincue à un moment donné, je me disais : “J’ai peur, moi aussi.” Il y en a qui ont déposé des plaintes et qui n’ont jamais eu de nouvelles. »

La triste réalité

Les mauvais soins de santé fournis aux Atikamekw n’étonnent pas Sébastien Brodeur-Girard, professeur à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et ex-codirecteur de la recherche à la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (commission Viens). Des histoires comme celles de Mme Echaquan et de Mme Ottawa, il en a entendu beaucoup, et plus particulièrement dans la région de Joliette.

« C’est sûr que les circonstances [de la mort de Joyce Echaquan] sont extrêmement dramatiques, et le fait de les voir en vidéo rend les choses encore plus intenses, émotivement. Mais est-ce que ça m’a surpris ? Non, parce que des cas comme ça, à Joliette, mais aussi sur la Côte-Nord, en Abitibi, partout au Québec où il y a des autochtones, c’est la réalité qui a été documentée par la commission Viens », affirme-t-il.

La principale conclusion du rapport [de la commission Viens], c’est qu’il y a de la discrimination systémique au sein des services publics, au Québec, envers les autochtones. C’est le constat que le commissaire a fait après avoir entendu près de 700 témoins.

Sébastien Brodeur-Girard, professeur à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

« Le site de la Commission regorge malheureusement de ces tristes histoires », ajoute-t-il.

M. Brodeur-Girard assure que des autochtones « préfèrent gérer leur maladie eux-mêmes, quitte à en mourir dans certains cas extrêmes », plutôt que d’aller à l’hôpital.

Le maire de Joliette, Alain Beaudry, assure de son côté ne pas avoir été témoin, « personnellement », de racisme dans sa ville, même s’il reconnaît l’existence du problème. « Mais il y a des gens de cette communauté-là qui habitent dans notre communauté depuis plusieurs années. Et on n’a pas eu de problèmes majeurs avec ces gens-là. Sauf que pour eux, c’est peut-être plus difficile au niveau de l’emploi. »

Le corps de Joyce Echaquan sera exposé samedi au salon funéraire Saint-Félix-de-Valois. Mme Ottawa tient à y aller. C’est une promesse qu’elle a faite à son élève.

— Avec la collaboration de Fanny Lévesque, La Presse