Le couple de septuagénaires américains secouru par la Sûreté du Québec à Magog mardi aurait été kidnappé par des membres influents du crime organisé qui souhaitaient faire pression sur son petit-fils, a appris La Presse. Les bandits auraient soupçonné ce dernier de les avoir floués de plusieurs millions dans le cadre d’une importation ratée de cocaïne.

C’est du moins ce qui émerge jusqu’à présent de l’enquête menée de part et d’autre de la frontière, selon plusieurs sources proches du dossier.

Le petit-fils du couple, âgé d’une trentaine d’années, aurait été arrêté récemment par les autorités américaines lors de la saisie d’une grosse quantité de cocaïne, dont la valeur est estimée à plus de 3 millions de dollars.

Le petit-fils habite le nord des États-Unis, près de la frontière du Québec, et les autorités croient que la drogue était destinée au marché canadien. La saisie n’a toutefois jamais été divulguée publiquement. L’opération a été tenue secrète. Si bien que des acteurs importants du crime organisé ont cru à tort que le petit-fils les avait volés, selon nos sources. Sur les réseaux sociaux, plusieurs résidants du coin ont d’ailleurs propagé sans preuve la rumeur selon laquelle le petit-fils aurait « fourré les gars sur la réserve », en référence aux trafiquants qui font passer des stupéfiants par le territoire autochtone.

PHOTO FOURNIE PAR LA SÛRETÉ DU QUÉBEC

James Helm Sr. et Sandra Helm

Connu et apprécié dans la communauté

Le lundi 28 septembre, les grands-parents, James Helm Sr, 76 ans, et Sandra Helm, 70 ans, auraient été enlevés par des intrus qui ont fait irruption chez eux, dans la petite ville de Moira, dans l’État de New York.

James Helm est le surintendant des autoroutes dans la petite municipalité située à 30 km de la frontière québécoise. « Il est à ce poste depuis 12 ans, c’est un poste élu tous les deux ans, alors il est bien connu et apprécié dans la communauté. C’est une petite ville tranquille, il ne se passe pas grand-chose ici. Et pourvoir ce poste dans notre région, avec une économie en difficulté, ce n’est pas facile », raconte Justus Martin, superviseur de la ville (une fonction similaire à celle d’un maire).

La police de l’État de New York, le FBI, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et la Sûreté du Québec (SQ) ont rapidement été mis à contribution dès que l’enlèvement a été signalé au 911. Un appel au public a été lancé rapidement et la photo des deux disparus a été largement diffusée. Les enquêteurs chargés du dossier ont rapidement fait le lien avec l’arrestation du petit-fils du couple.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Enlevé à Moira, dans l’État de New York, le couple a traversé à frontière à Akwesasne avant d’être emmené à Magog.

Par bateau

Selon nos informations, des traces ont été retrouvées qui indiquent que les deux septuagénaires auraient été emmenés par leurs ravisseurs du côté américain de la réserve mohawk d’Akwesasne, qui chevauche la frontière canado-américaine. Ils auraient été embarqués dans un bateau et emmenés sur les eaux du fleuve Saint-Laurent jusqu’à Saint-Anicet, en Montérégie.

Le couple aurait ensuite été emmené dans une maison louée au bord du lac Lovering, à Magog, où il a été séquestré. On lui aurait fait comprendre que des gens dangereux voulaient récupérer leur argent, et vite.

Mais les policiers étaient sur la piste. Grâce à des moyens d’enquête non précisés, ils ont pu suivre la trace des victimes jusqu’à la résidence. Mardi soir, les suspects sont sortis de la maison pour déplacer leurs victimes, et se sont immédiatement fait tomber dessus par le Groupe d’intervention tactique de la Sûreté du Québec, qui avait cerné les lieux. Aucune arme n’a été saisie à ce stade.

James et Sandra Helm étaient en bonne santé et n’avaient pas été battus ou violentés, même si les ravisseurs les avaient enlevés sous la menace.

J’ai parlé avec leur fils, il a dit qu’ils allaient bien, même s’ils sont sous le choc. Ils ont été emmenés à l’hôpital tout de suite après qu’on les a secourus, et tout était correct.

Justus Martin, superviseur de la ville de Moira, où vivent les victimes

Des suspects liés au crime organisé

Quatre suspects arrêtés dans l’opération policière ont comparu au palais de justice de Montréal mercredi pour être accusés d’enlèvement, de séquestration et d’extorsion. L’acte d’accusation précise que les suspects ont tenté d’obtenir une somme d’argent sous la menace.

Les quatre suspects ont des liens avec le crime organisé.

Kosmas Dritsas, 49 ans, alias « Mike le Grec », est originaire de Montréal, mais il a vécu pendant un temps au Manitoba. Là-bas, il était considéré par la GRC comme l’un des plus importants importateurs de cocaïne de la province, branché sur l’ancien club de motards criminels des Rock Machine et capable d’importer la drogue facilement au kilo, selon des jugements de cour. Il a été condamné à plusieurs reprises à des peines de prison. Lors d’un de ses procès, un policier a expliqué qu’il était tellement haut dans l’échelle du crime organisé qu’il ne touchait presque jamais à la drogue lui-même, faisant faire tout le travail par ses sbires. Il habite aujourd’hui à Mont-Royal.

George Dritsas, 75 ans, est le père de Kosmas Dritsas et a été condamné comme lui pour trafic de drogue à grande échelle par le passé. Il habite aussi à Mont-Royal.

Franco D’Onofrio, 54 ans, est celui qui habitait la maison louée à Magog. En 2009, il avait été intercepté sur l’autoroute avec 112 kg de cocaïne dans sa voiture, cachés sous des brocolis. Il accumule les arrestations pour possession de grandes quantités de stupéfiants depuis les années 1980.

Taylor Lawrence Martin, 31 ans, d’Akwesasne, est le fils de John « Rocky » Skidders, un trafiquant de drogue bien connu de la police d’Akwesasne qui a déjà été condamné par le passé.

Une source policière a d’ailleurs confié à La Presse que pour franchir la frontière à cet endroit, les trafiquants de Montréal avaient absolument besoin de la permission d’un groupe criminel local. « La mafia ou les Hells Angels, par exemple, ne peuvent pas passer par là sans obtenir la permission », explique cette source qui connaît bien les lieux.

Collaboration cruciale de la police mohawk

La contribution de la police mohawk a d’ailleurs été cruciale dans la traque des kidnappeurs, selon plusieurs sources.

« Nous avons eu une excellente collaboration », confirme le lieutenant Hugo Fournier, porte-parole de la SQ.

« Pour être efficaces, il faut travailler ensemble. Ce dossier en était une preuve : on peut avoir des résultats probants et rapides grâce à la collaboration », a ajouté Shawn Dulude, chef de la police d’Akwesasne, dont les agents ont procédé à une arrestation et à une perquisition.

Lors de la comparution, la procureure de la Couronne Marie-France Drolet s’est opposée à la remise en liberté des accusés, pour assurer la sécurité des victimes et par souci de l’administration de la justice. Elle a souligné que les avocats de la défense allaient devoir prendre connaissance d’une preuve très volumineuse. « Ils ont beaucoup de lecture à faire », a-t-elle laissé tomber.

Les avocats des accusés n’ont pas voulu commenter le dossier avant d’en apprendre plus sur l’affaire.

Aucun des corps policiers n’a voulu commenter les informations de La Presse sur les déboires du petit-fils des victimes, mais la Sûreté du Québec a confirmé que l’histoire aurait un lien avec le monde des stupéfiants.

« Le FBI continue de travailler sur le kidnapping international original à Moira, dans l’État de New York […] Nous ne pouvons fournir plus d’information pour le moment, mais nous allons diffuser des informations au cours des prochains jours », assure Sarah C. Ruane, porte-parole du FBI à Albany.

— Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse