L’ex-numéro 2 de l’UPAC estime avoir été congédié par le gouvernement libéral pour des « raisons politiques » en 2017 dans la foulée de l’arrestation du député Guy Ouellette et des perquisitions au Parti libéral. Son ancien patron, Robert Lafrenière, a martelé devant la cour lundi n’avoir jamais réclamé la démission de son bras droit.

L’ancien commissaire de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) était le premier témoin du procès civil de Marcel Forget contre le gouvernement du Québec. L’ex-commissaire adjoint de l’UPAC réclame 2 millions de dollars et des dommages exemplaires à Québec pour son congédiement illégal. Il affirme avoir été forcé de démissionner lors de la diffusion d’une série de reportages des médias de Québecor sur ses intérêts dans l’entreprise Newtech.

Témoin-vedette du procès, l’ancien grand patron de l’UPAC faisait sa première apparition publique depuis sa démission surprise le jour des élections en octobre 2018. Imperturbable à la barre des témoins, Robert Lafrenière n’a pas eu à répondre à la plupart des questions corsées portant sur sa démission ou sur les enquêtes policières de l’UPAC visant le député Guy Ouellette en raison d’un barrage d’objections des avocats.

L’avocat de Marcel Forget, MDaniel Rochefort, a insisté dans son interrogatoire principal sur l’élément « grandement politique » de cette affaire explosive. Il a en effet lié le départ forcé de son client aux enquêtes-chocs de l’UPAC : l’arrestation des ex-ministres Marc-Yvan Côté et Nathalie Normandeau, les perquisitions au bureau du Parti libéral du Québec et, surtout, l’arrestation du député Guy Ouellette, laquelle n’a mené à aucune accusation.

C’est parce que le mandat de Robert Lafrenière à la tête de l’UPAC avait déjà été renouvelé que le gouvernement s’en est pris à son « acolyte » pour « ébranler l’UPAC ». Au moment de l’arrestation de Guy Ouellette, « tous les députés ont peur d’être sous écoute électronique », a même lancé MRochefort.

« M. Lafrenière a été renouvelé. Il est devenu intouchable. On s’en est pris à qui ? On s’en est pris au numéro deux de l’UPAC, mon client », a ajouté MRochefort. Des « suppositions » qui ont fait bondir à de nombreuses reprises l’avocate de Robert Lafrenière, MMarie-Hélène Giroux, et l’avocate du procureur général, MFrance Bonsaint.

Irrité par toutes les objections retenues par la juge Janick Perreault, MRochefort s’est même demandé s’il n’allait pas devoir « faire témoigner un journaliste », alors qu’il était question d’articles de l’époque de La Presse et du Journal de Montréal. L’avocat a également déploré son incapacité à étayer le contexte politique au cœur du congédiement de son client, survenu 11 mois avant le renouvellement de son mandat.

L’ancien grand patron de l’UPAC a cependant affirmé avoir bien lu le nouveau livre de Guy Ouellette, dans lequel le député indépendant tire à boulets rouges sur Robert Lafrenière. « Dans son livre, il y a des éléments fort probablement sous enquête par le BEI [Bureau des enquêtes indépendantes] », s’est contenté de dire Robert Lafrenière.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Marcel Forget (au centre)

« Il a démissionné verbalement »

La trame factuelle du jour de sa démission, le 30 novembre 2017, est au cœur du procès. L’avocat de Marcel Forget insiste en effet sur le fait que Robert Lafrenière a annoncé la démission de son bras droit aux employés de l’UPAC avant même qu’il lui remette sa lettre de démission.

Or, Robert Lafrenière assure que Marcel Forget avait déjà « démissionné verbalement » lors d’une conversation téléphonique. « Il venait de parler avec les Emplois supérieurs. Il avait le choix entre démissionner ou se faire démissionner, ou congédier. […] Il a dit : ‟je vais démissionner, je vais le dire aux employés” », s’est défendu le témoin-vedette.

En réinterrogatoire, l’ancien dirigeant de l’UPAC a fini par ajouter que Marcel Forget avait été beaucoup plus tranché au bout du fil. « Il m’a dit : ‟je démissionne” », a témoigné Robert Lafrenière.

Des échanges de messages montrent que les cabinets du premier ministre Couillard et du ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux ont discuté du départ de Marcel Forget le matin fatidique.

« André lui passe le message qu’on le largue de toute façon s’il ne quitte pas par lui-même », a ainsi envoyé Olivier Hébert, directeur du cabinet de M. Coiteux à la directrice de cabinet adjointe du premier ministre, Johanne Boucher. Actuel secrétaire général du conseil exécutif du gouvernement du Québec, le haut responsable des Emplois supérieurs André Fortier discutait alors au téléphone avec Marcel Forget.

« Rien d’illégal et pas trop vite. Ton ministre pourrait te faire poursuivre », a ensuite répondu Mme Boucher à son homologue.

L’ancien ministre Martin Coiteux sera le prochain témoin mardi matin.

« Je n’étais plus la personne »

Disparu de la sphère publique depuis deux ans, Robert Lafrenière s’est brièvement adressé aux médias à la fin de son témoignage. Il a refusé de répondre aux allégations portant sur de possibles accusations criminelles dans le cadre de l’enquête Serment et n’avoir « aucun commentaire » sur le livre de Guy Ouellette. Robert Lafrenière est toutefois revenu sur le contexte de sa démission. « J’avais 65 ans, je travaillais depuis 46 ans, j’étais fatigué, j’avais décidé à l’été que j’allais démissionner. Je profite depuis deux ans d’une très belle retraite. Je sentais que je n’étais plus la personne, je n’avais plus l’énergie, je l’ai constaté après mes vacances, quand je suis revenu, j’étais fatigué », a-t-il affirmé.