(Montréal) Une juge de la Cour du Québec a présenté ses excuses mardi, cinq ans après avoir refusé de permettre à une musulmane de comparaître devant elle en portant un hijab.

La lettre d’excuses de la juge Eliana Marengo a été lue mardi lors d’une audience du Conseil de la magistrature du Québec, dans le cadre d’une proposition de règlement visant à mettre fin aux procédures disciplinaires. Un porte-parole du Conseil avait expliqué en juillet que les excuses de la juge et sa requête pour mettre fin aux procédures faisaient partie d’une proposition conjointe de règlement entre les avocats de Mme Marengo et les procureurs chargés de l’enquête disciplinaire.

Dans sa lettre, la juge Marengo s’excuse d’avoir refusé, en 2015, d’entendre la cause de Rania El-Alloul si elle ne retirait pas son hijab. La juge affirmait à l’époque qu’une salle d’audience était un espace laïque et que Mme El-Alloul violait les dispositions vestimentaires du Règlement de la Cour du Québec, qui exigent qu’on soit « convenablement vêtu » au tribunal.

La juge avait comparé le hijab à un accessoire vestimentaire comme un chapeau ou des lunettes de soleil, qu’on doit retirer en salle d’audience. La dame avait expliqué qu’elle portait le foulard pour des motifs religieux et elle avait refusé de retirer son hijab ; la juge Marengo avait alors ajourné l’audition de sa cause — Mme El-Alloul voulait simplement récupérer sa voiture saisie.

Dans sa lettre d’excuses lue mardi lors d’une audience virtuelle du Conseil de la magistrature, la juge Marengo déclare à Mme El-Alloul que ses commentaires sur le hijab visaient simplement à illustrer comment les règles du décorum étaient généralement appliquées dans une salle d’audience. Elle assure qu’elle n’a jamais eu l’intention de manquer de respect envers Mme El-Alloul ou ses croyances religieuses. La juge reconnaît qu’elle a mal interprété le Règlement de la Cour du Québec et elle promet de l’appliquer correctement à l’avenir.

Dans une lettre de réponse lue mardi lors de l’audience, Mme El-Alloul a déclaré que les propos et la décision de la juge lui avaient causé de la douleur, mais elle accepte ses excuses parce que sa foi le lui enseigne. « J’espère qu’elle comprend la douleur qu’elle m’a causée et pourquoi il est si important pour elle d’assumer la responsabilité de ses actes », a-t-elle écrit.

Mme El-Alloul a déjà expliqué qu’elle voulait avant tout obtenir un jugement des tribunaux confirmant le droit de porter des vêtements religieux en cour, ce qui a été accordé par la Cour d’appel du Québec en 2018. Le plus haut tribunal de la province a alors conclu que le règlement sur le code vestimentaire de la Cour du Québec n’interdisait pas aux justiciables de porter un hijab, si ce vêtement est lié à une « croyance religieuse sincère ».

« Un espace laïque »

Des dizaines de plaintes avaient été déposées en 2015 à la suite des propos de la juge Marengo, qui avaient fait grand bruit dans les médias. Le Conseil de la magistrature avait décidé en juin 2016 que 28 de ces plaintes étaient fondées et il a donc formé un comité chargé d’enquêter sur la conduite de la juge.

Mme Marengo s’est alors tournée vers les tribunaux pour tenter d’empêcher la tenue de cette enquête, en plaidant l’indépendance judiciaire. Ses demandes de révision devant la Cour supérieure puis la Cour d’appel ont été rejetées ; en décembre 2018, la Cour suprême du Canada a refusé d’entendre sa cause. La juge a alors présenté une proposition de règlement au Conseil de la magistrature, qui était étudiée mardi. La lettre d’excuses fait partie de ce règlement proposé pour mettre un terme aux procédures.

Par ailleurs, en octobre 2018, la Cour d’appel a conclu, dans une procédure distincte, qu’obliger Mme El-Alloul à retirer son hijab constituait une violation de ses droits fondamentaux. Dans une décision unanime, la Cour d’appel a estimé que les citoyens qui portent des vêtements religieux ne peuvent se voir refuser l’accès à la justice et que la liberté d’expression religieuse ne s’arrête pas à la porte de la salle d’audience.

Lors de l’audience de mardi, les avocats de Mme Marengo et les procureurs chargés de l’enquête disciplinaire ont plaidé en faveur de la fin des procédures. Ils ont invoqué la sincérité des excuses de Mme Marengo, le fait qu’il n’y avait pas eu d’autres plaintes contre elle depuis et que l’affaire avait déjà servi à clarifier les droits de ceux qui adhèrent à une croyance religieuse sincère. Mais l’un des plaignants a fait valoir dans un mémoire écrit que le rejet de l’affaire sur la base d’excuses laisserait entendre que les juges peuvent agir en toute impunité, quitte à s’excuser plus tard.

Le comité d’enquête du Conseil de la magistrature du Québec examinera maintenant toutes les preuves avant de décider si ce dossier répond aux critères pour mettre fin aux procédures disciplinaires. On ignore à quel moment cette décision sera annoncée.