La mère de la fillette de 6 ans poignardée en juillet dernier dans l’est de Montréal, accusée du meurtre non prémédité de son enfant, avait déjà fait l’objet de signalements à la DPJ, selon ce que La Presse a appris de ses proches, qui étaient très inquiets de ses problèmes de consommation de drogue.

« Je m’inquiétais pour ma petite-fille. Maintenant, la petite est morte. C’est terrible », a confié dans un long sanglot la mère de l’accusée, qu’une ordonnance de non-publication nous empêche d’identifier. Comme la victime est mineure et que la DPJ est impliquée dans le dossier, nous ne pouvons identifier les proches qui témoignent.

Selon les accusations, sa fille aurait poignardé à mort sa propre enfant de 6 ans le 23 juillet. Les policiers sont intervenus chez elle au milieu de la nuit dans leur appartement d’Hochelaga, dans le secteur de Longue-Pointe. Ils ont trouvé la jeune victime gravement blessée et sa mère en état de choc. D’abord considérée comme témoin, cette dernière est vite devenue la principale suspecte.

Au moment du drame, son autre fille, qui n’a pas le même père que la victime, ne vivait plus avec elle. Inquiète de la présence de drogues dures à la maison, l’adolescente avait demandé elle-même un placement en foyer d’accueil trois mois plus tôt. Elle avait toutefois encore des contacts réguliers avec sa mère jusqu’au moment du meurtre.

Selon nos informations, sa petite sœur était restée en garde partagée entre ses deux parents, séparés depuis quelques années. Les visites de la petite chez sa mère demeuraient occasionnelles. Elle vivait majoritairement avec son père, a confirmé ce dernier à La Presse.

Abus d’alcool et de drogue

La mère de l’accusée affirme avoir fait un signalement à la DPJ pour la fillette de 6 ans au mois d’avril.

Elle ne parlait plus à sa fille depuis des années, mais a été mise au courant de ses abus d’alcool et mélanges de substances illicites. « Ma fille, je ne suis pas proche d’elle, elle fréquente des milieux que je n’approuve pas. Elle est dans un autre monde. Elle était très frustrée après moi quand elle a su la plainte que j’ai faite. »

[L’enfant] était en danger dans cette maison-là ; consommation excessive, c’était assez pour enlever un enfant au plus vite de là.

La mère de l’accusée

Pour préserver la confidentialité des familles impliquées, le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, qui chapeaute la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pour Montréal, ne commente pas le dossier. « La DPJ prend tous les signalements au sérieux et tous les enfants comptent, sans exception », s’est borné à dire Jean Nicolas Aubé, porte-parole du CIUSSS, à La Presse.

« Deux versions d’elle »

La famille de l’accusée et celle du père de la victime jugent qu’il y a eu un manquement de la DPJ.

« Ils ont visité chez ma fille trois semaines après ma plainte », poursuit la grand-mère maternelle, qui affirme avoir reçu un appel de la DPJ. « Après la visite, ils m’ont dit qu’ils ont été voir la mère, que oui, il y a des failles dans cette maison-là et que son dossier allait rester ouvert, mais que c’était correct. Je leur ai dit que ma fille était manipulatrice. »

« Il y avait deux versions d’elle. Celle de la mère parfaite et celle qui consommait la nuit », affirme la sœur de l’accusée, qui ne lui parlait plus non plus.

Même si elle ne va pas bien, ma sœur est capable d’avoir l’image de la fille la plus heureuse du monde. […] La DPJ est tombée dans le piège.

La sœur de l’accusée

Le père de la fillette, plusieurs membres des deux familles ainsi que des proches ont confirmé à La Presse que la mère de l’accusée avait fait un signalement. « Après la visite chez sa mère, ils m’ont dit que tout était correct », raconte le père de la fillette. Aucune visite chez lui, dit-il. Il a reçu au début de l’été l’information que le dossier avait été fermé. Il n’y avait rien d’anormal dans le comportement de la fillette avant ou après ses visites chez sa mère. Elle ne portait aucune trace de violence.

Il demeure plongé dans une tristesse sans nom. « Le pire, c’est le soir. Ma fille dormait parfois avec moi, et j’y pense. Je n’étais même pas là pour la protéger. »

« Si on l’avait su »

« Il se sent tellement coupable. Jamais dans 100 ans je n’aurais pensé que ça arriverait à ma famille », a raconté à La Presse sa grand-tante, qui s’est occupée des funérailles. C’est le crime le plus odieux qui a été fait sur un enfant. » La famille du père n’était pas au courant de l’ampleur des problèmes de drogues de l’accusée. « Si on l’avait su [l’ampleur], on l’aurait enlevée de chez elle. »

« La grand-mère maternelle a fait un signalement pour la plus jeune. Ils auraient dû l’enlever de chez sa mère. Si la plus vieille avait elle-même demandé de s’en aller de là, pour quelles raisons ils n’ont pas sorti la nôtre ? On essaye de comprendre. On veut poursuivre la DPJ. […] Il y a eu un manque. Un gros manque. Il n’y a pas eu un gros suivi. Ils ont appelé mon neveu, mais c’est tout », dit la grand-tante du père.

La consommation de drogues de la femme de 36 ans avait dégénéré, toujours selon l’entourage.

Elle conduisait ivre. Elle était tombée dans le GHB (drogue du viol). Depuis 2018, elle consommait du speed, mélangeait les drogues. Elle abusait de l’alcool depuis l’âge de 16 ans, selon les proches.

Personnalité changeante

Il est arrivé dans les dernières années que l’accusée soit sobre, selon sa mère. « Dans son [état] normal, elle était une mère très attentive. Y’avait pas meilleure mère qu’elle sans la consommation. Elle est tombée dans le monde des pilules, du speed et d’autres drogues dures. Il y a eu des moments où elle a repris sa vie en main, mais ça ne durait pas. »

« J’ai connu ma sœur sans drogues. J’ai aimé cette sœur-là. Sa personnalité changeait avec la consommation », affirme la sœur de l’accusée.

Selon sa famille, elle n’a jamais été violente avec ses filles et n’a jamais reçu de diagnostic de troubles de santé mentale.

On peut pas mettre ça sur le dos de la maladie mentale, ce qui arrive quand on fait ça, c’est qu’on met tous les gens atteints de maladie mentale dans le même panier que des criminels.

La sœur de l’accusée

En apparence, tout semblait bien aller. La mère, tatouée des noms de ses filles et de leurs dates de naissance, partageait sur Instagram des vidéos d’elle en train de coiffer sa plus jeune.

« Je croyais pas à ça au début. Je le digère pas encore », a confié une ancienne amie de l’accusée. « Elle prenait soin de ses enfants comme ça avait pas de sens. Jamais je n’aurais pensé. On ne connaît jamais une personne à 100 %. »

Une autre amie a arrêté de lui parler en décembre. « La consommation prenait une grande place. […] Elle buvait beaucoup, mélangeait des drogues », raconte-t-elle. Par contre, jamais elle ne l’a vu faire de mal à ses filles.

Quand elle a appris les circonstances de la mort de la fillette, elle a dû regarder les nouvelles une vingtaine de fois. « Je n’y croyais pas. Ce n’est pas humain. C’est un choc pour tout le monde. »

Une famille dans la douleur

Dans les heures qui ont suivi le drame, un policier présent sur les lieux a décrit la scène avec vivacité et émotion sur les réseaux sociaux : un entourage endeuillé, une famille plongée dans la douleur et des premiers répondants prêts à tout pour sauver la petite.

« J’ai croisé un instant de la vie d’une femme qu’on devine désespérée après avoir commis ce geste irréparable, a-t-il écrit. Je ne la connaissais pas, mais je ne pense pas que dans un état normal, elle puisse se reconnaître elle-même après avoir enlevé la vie de cette petite fille. Je n’ai aucune idée de l’histoire qui l’a menée là et cela ne changera rien au résultat. »

Une demande d’injonction finalement rejetée

La publication de cet article était prévue au mois d’août. Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal a toutefois obtenu une injonction provisoire nous interdisant de le publier, sans laisser la possibilité à La Presse de se présenter pour faire valoir ses droits. En fin de journée mercredi, la Cour supérieure a fini par rejeter la demande d’injonction interlocutoire sur laquelle nous avions pu être entendus vendredi dernier, ce qui permettait la publication de l’article.