Dans un livre dans lequel il tire à boulets rouges sur des politiciens et policiers, dont l’ancien commissaire de l’UPAC Robert Lafrenière, qu’il qualifie d’Edgar Hoover québécois, le député Guy Ouellette écrit qu’il n’est plus convaincu de l’utilité du corps de police chargé d’enquêter sur la corruption au Québec.

« Plus aucun député ne parle de corruption, les ministères jouent les vierges offensées en affirmant haut et fort qu’aucune corruption n’a lieu au sein de leurs organismes, et les sociétés d’État font comme bon leur semble. Pourquoi alors garder sur le respirateur artificiel un nouveau corps de police qui, au dire même de son nouveau commissaire, a un gros problème d’expertise ? », demande le député qui, pourtant, se dépeint comme étant l’un de ceux qui ont contribué à la création de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) dans le livre que La Presse a obtenu.

Guy Ouellette soutient que le Parti libéral du Québec n’est pas corrompu, qu’au fil des années, des politiciens et des entreprises ont été condamnés, que notre système de justice, quoiqu’imparfait, fonctionne, dans le livre portant sur les dessous de son arrestation en octobre 2017, qu’il souligne être illégale. Le titre du livre, Qu’on accuse ou qu’on s’excuse, reprend la déclaration-choc de l’ancien président de l’Assemblée nationale Jacques Chagnon, qui signe d’ailleurs la préface.

En entrevue avec La Presse, Guy Ouellette a précisé sa pensée et affirmé que la Sûreté du Québec (SQ) et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) font déjà des enquêtes de corruption et ont toute la compétence pour le faire. Même si La Presse lui a rappelé les soupçons d’ingérence politique dans le Projet Diligence et la création d’une escouade anticorruption par l’ancien maire de Montréal Michael Applebaum qui a ironiquement été condamné dans une affaire de fraude, Guy Ouellette croit que la SQ et le SPVM ont toute l’indépendance nécessaire pour mener ces enquêtes. Il ajoute que les enquêteurs actuels de l’UPAC sont inexpérimentés et que l’unité coûte plus de 25 millions par année, qui pourraient être investis dans les unités des deux corps de police existants.

Une victime

Après avoir reçu de nouvelles informations toujours inconnues aujourd’hui, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a demandé et obtenu l’annulation des mandats obtenus contre Guy Ouellette, qui n’a jamais été accusé.

À la demande du gouvernement, le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) mène depuis bientôt deux ans une enquête sur les fuites à l’UPAC survenues depuis 2012 et sur la façon dont l’UPAC a mené l’enquête Projet A, qui a débouché sur l’arrestation de Guy Ouellette et de deux enquêteurs de l’UPAC, un retraité et l’autre actif, en octobre 2017.

Mais les enquêteurs du BEI refont également l’enquête Projet A, et même si Guy Ouellette pourrait toujours être un suspect, il lance tout de même un livre avant la fin de l’enquête, car il affirme qu’il n’est pas un suspect, mais une victime, et il est sûr qu’il ne sera jamais accusé.

Il n’y aura jamais d’accusation à mon endroit, tout le monde le sait, à commencer par les journalistes qui savent que je ne suis pas leur source. Ironiquement, il se pourrait qu’on ne confirme jamais que je n’ai révélé aucune information émanant d’enquêtes de l’UPAC aux médias.

Guy Ouellette, dans son livre

Guy Ouellette, qui attend la fin de l’enquête Serment avec impatience, montre du doigt exclusivement les dirigeants de l’UPAC pour les fuites.

Il écrit s’attendre à des arrestations, « rien de moins », mais se demande si le BEI aura les coudées franches et si le DPCP aura l’audace d’accuser des dirigeants de l’UPAC.

« À titre de législateur, je me le demande sérieusement. On ne peut plus ignorer la position conflictuelle et délicate du DPCP. Les mêmes procureurs soutiennent l’UPAC dans ses enquêtes et soutiennent le BEI dans son enquête visant l’UPAC. Peut-être aurait-il fallu y songer avant, mais force est de constater que pour assurer la totale indépendance du BEI, il faudrait prévoir des procureurs exclusifs », écrit encore Guy Ouellette, qui exhorte le gouvernement à rendre public le rapport d’enquête du BEI une fois qu’il sera terminé, pour que la population sache la vérité.

Un piège

Dans son livre, Guy Ouellette revient sur cette fameuse journée du 25 octobre, mais ne s’étend pas beaucoup sur l’échange de textos qu’il a eu sur une période de quatre heures avec une enquêteuse de l’UPAC qui s’est fait passer pour son ami aussi arrêté le même jour, Richard Despatie.

Ouellette écrit simplement qu’il trouvait les messages de Despatie bizarres, qu’il ne le reconnaissait pas, que celui-ci lui a donné rendez-vous à 13 h à Laurier-Station et que même s’il était en commission parlementaire et pressé, il y est allé, car il était inquiet pour son ami. On connaît la suite. À son arrivée dans une station-service de Laurier-Station, ce sont les enquêteurs de l’UPAC qui l’attendaient. Le député venait de récupérer un sac lorsqu’ils l’ont arrêté, ce qui, semble-t-il, n’était pas prévu au départ.

Guy Ouellette dit avoir été piégé par l’ex-commissaire de l’UPAC Robert Lafrenière et « sa gang », car le député s’opposait à la création d’un corps de police indépendant pour lutter contre la corruption et à ce que le chef de celui-ci ait plus de pouvoirs. Il voulait aussi que Robert Lafrenière rende des comptes.

Le piège visait à me faire sortir de l’Assemblée nationale. L’objectif était de me neutraliser et de me mettre hors d’état de nuire.

Guy Ouellette, dans son livre

Pas tendre envers Lafrenière

« Un homme aux ambitions démesurées, aveuglé par sa soif de pouvoir au point de se croire intouchable » ; Guy Ouellette n’est pas tendre envers Robert Lafrenière tout au long des quelque 350 pages de son bouquin.

Il écorche également le directeur général de la SQ relevé provisoirement de ses fonctions, Martin Prud’homme, son « ami » qui l’a espionné pour le compte de l’UPAC. « Pour moi, c’est une peine d’amour. C’était mon chum. Je suis allé à la guerre avec Prud’homme », a-t-il ajouté en entrevue.

Guy Ouellette égraine tout ce qu’il a fait pour purifier les pratiques gouvernementales, une croisade au cours de laquelle il s’est fait des ennemis.

Il égratigne notamment son ancien compagnon d’armes Robert Poëti, et l’ex-ministre libéral Pierre Moreau, l’inimitié entre les deux hommes ayant débuté avec l’affaire du permis d’arme de l’ancien président de BCIA Luigi Coretti.

Sa dernière campagne électorale dans Chomedey lui a laissé un goût amer en raison, explique-t-il, d’une charge de François Legault « indigne de quelqu’un qui aspire à être premier ministre » et de manœuvres alléguées de Dominique Anglade, « une pure opportuniste capable de manigances sournoises de basse politique », écrit-il sans ménagement.

Guy Ouellette conclut en affirmant avoir rédigé ce livre pour rétablir des faits et ne rien oublier de « ce typhon » qui a brisé sa vie, ainsi que celle de sa conjointe, Annie Trudel.

Il ne veut pas que son histoire en soit réduite à celle d’une guerre de coqs entre deux policiers de carrière, Robert Lafrenière et lui.

Il serait étonné d’avoir des excuses un jour.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Quelques extraits 

Au sujet de l’UPAC et de son nouveau commissaire, Frédérick Gaudreau :

« Je me demande si ce nouveau gestionnaire réussira à rétablir ce qu’a laissé Robert Lafrenière comme héritage ou s’il est l’héritage de Lafrenière. Quand je pense aux multiples dossiers d’enquête négligés par l’AMF, je ne suis pas rassuré. Parce qu’il faut le rappeler, Frédérick Gaudreau était responsable des enquêtes et du renseignement à l’AMF. Puis, il est arrivé à l’UPAC comme commissaire associé aux enquêtes. Il a donc été témoin de toutes les magouilles menant au départ de Lafrenière. Je ne sais pas où l’UPAC s’en va, en fait, je ne suis plus du tout convaincu de l’utilité de l’UPAC. »

Sur Robert Lafrenière :

« J’avais acquis la conviction que Robert était prêt à beaucoup de choses pour arriver à ses fins. J’ai pensé à Machiavel, mais ce n’était pas ça. Robert ne conseillait pas directement les politiciens. J’ai réalisé qu’il voulait devenir une sorte d’Edgar Hoover québécois, un homme d’ombre et de lumière doté d’un pouvoir indu et menaçant. Les parallèles à faire avec le directeur du FBI qui a régné sur Washington pendant des décennies étaient nombreux et donnaient froid dans le dos. »

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS HUGO & CIE

Qu’on accuse ou qu’on s’excuse, de Guy Ouellette