La mère d’une fillette tombée enceinte à l’âge de 11 ans après avoir été agressée sexuellement par un ami de la famille vient d’être reconnue formellement comme une victime d’acte criminel devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ) à l’issue d’une longue bataille juridique.

« J’ai été obligée de me battre et de me battre et de justifier à répétition ce que je sens. C’est ce que j’ai trouvé le plus difficile », a indiqué dimanche en entrevue à La Presse la femme de 39 ans, qui ne peut être identifiée pour protéger l’identité des enfants concernés.

Elle reproche au service d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) de l’avoir traitée de manière « inhumaine » en l’obligeant à recourir aux tribunaux pour obtenir un soutien financier susceptible de lui permettre de surmonter le traumatisme subi.

« J’en suis encore au même stade. J’ai des cauchemars, je suis stressée, je ne peux toujours pas retourner au travail. Je vis encore avec les séquelles de tout ça », souligne-t-elle en parlant du drame vécu par la famille.

L’avocat Marc Bellemare, qui la représentait, espère que la décision rendue par le TAQ le 26 juin va amener l’IVAC à revoir ses façons de faire.

Ses représentants, dit-il, continuent d’utiliser une notion restrictive de victime d’acte criminel pour écarter les demandes d’indemnisation, privant de soutien financier des personnes « complètement dévastées par des crimes ».

On les met sur une voie de garage en leur disant qu’elles ne sont pas admissibles.

 Me Marc Bellemare

La reconnaissance formelle comme victime d’acte criminel permet de faire payer les frais de thérapie, mais aussi de compenser les pertes de revenus découlant d’interruptions de travail et d’obtenir une rente liée aux séquelles.

Choc post-traumatique

L’affaire criminelle à l’origine de la décision du TAQ est survenue il y a cinq ans.

Un homme de 32 ans originaire de Trois-Rivières, Mathieu Roy, avait été invité à vivre dans la résidence familiale d’un ami alors qu’il traversait une période difficile ; il a profité de l’occasion pour agresser sexuellement une fille de 11 ans à plusieurs reprises.

Elle a commencé à souffrir de maux de tête et de nausées, mais les médecins consultés n’ont pas réussi à trouver la cause précise de ses ennuis de santé. Ce n’est que plusieurs mois plus tard, alors que sa grossesse était très avancée, que la famille a appris avec consternation qu’elle était enceinte.

Les soupçons se sont rapidement portés sur Roy, qui a été condamné à 57 mois de prison au début de 2016 en lien avec cette affaire et un autre dossier d’agression. Il a depuis recouvré sa liberté.

La fillette agressée, aujourd’hui âgée de 17 ans, a donné naissance à un bébé en santé que sa mère élève comme son propre enfant.

Dans un document lu en cour au moment de la condamnation de son agresseur, elle avait souligné sa détresse. « Que peut-on être après avoir vécu de telles douleurs ? », a-t-elle demandé.

« Encore aujourd’hui, il n’y a rien qui ne lui dit rien. C’est un combat de tous les jours », relate en entrevue sa mère, qui a elle-même reçu un diagnostic de choc post-traumatique après la divulgation de l’agression.

La femme de 39 ans a entrepris une psychothérapie en 2015, mais dit avoir été contrainte de l’interrompre faute de ressources et de temps, l’arrivée d’un nouveau-né et la gestion du traumatisme subi par sa fille constituant de lourds défis.

« Un impact pour d’autres personnes »

Avec l’aide de MBellemare, elle a formulé une demande d’indemnisation qui a été rejetée par l’IVAC sous prétexte qu’elle n’avait « pas été ni victime ni témoin direct d’un acte criminel ».

Après plusieurs détours juridiques, la cause s’est retrouvée devant le TAQ, où l’avocat a défendu une définition élargie de la notion de « victime » en relevant que le terme peut s’appliquer selon la loi aux personnes blessées « à l’occasion » d’un acte criminel.

Le juge Sylvain Roy relève que la jurisprudence a longtemps voulu, comme le prétend l’IVAC, qu’une personne doit être présente sur les lieux du crime au moment où il est perpétré et jouer un « rôle actif » pour pouvoir être reconnue comme une victime.

Des décisions rendues après 2013 ont cependant « fait dissonance » à ce sujet, relève le magistrat, qui a critiqué les « paradoxes » pouvant être suscités par une approche trop restrictive de la loi avant de reconnaître le statut de victime de la mère et d’ordonner à l’IVAC de calculer les indemnités auxquelles elle a droit.

Une décision similaire a aussi été rendue pour son ex-conjoint, dont elle s’est séparée en 2018.

« Lui aussi a besoin d’aide. Il vit beaucoup de culpabilité parce que c’est son meilleur ami qui a agressé ma fille. Si on avait reçu l’aide à laquelle on a droit, on ne se serait peut-être pas séparés », dit-elle.

« J’espère que le jugement [du TAQ] va avoir un impact pour d’autres personnes dans notre cas et qu’ils n’auront pas à vivre ce qu’on a vécu », ajoute la mère.

« Il faut que l’IVAC respecte cette jurisprudence-là. On n’en est plus à l’idée que seule une personne ayant été poignardée peut être considérée comme une victime d’acte criminel », relève MBellemare.