À l’automne 2018, un réseau de trafiquants lié aux Hells Angels voulait écouler pas moins de 80 onces de cocaïne – 2,5 kilogrammes – par mois dans la région de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Pour ce faire, les dirigeants du réseau voulaient forcer tous les trafiquants de la région à s’approvisionner auprès d’eux seuls, au début de chaque mois, parce que c’est à ce moment que les consommateurs ont plus d’argent pour acheter de la cocaïne.

C’est ce que révèle une longue conversation diffusée lundi au procès de Claude Gauthier, un Hells Angels de Trois-Rivières accusé de gangstérisme, complot et trafic de cocaïne.

Gauthier, 52 ans, a été arrêté au printemps 2019 à l’issue d’une enquête de l’Escouade nationale de répression du crime organisé (ENRCO) baptisée Orque. Il est le seul de la trentaine d’individus accusés à ne pas avoir plaidé coupable et avoir été condamné.

Durant l’enquête, qui a débuté en 2017, les enquêteurs ont mis les téléphones de plusieurs suspects sur écoute et ont installé des micros et des caméras dans les résidences et les voitures de Gauthier et de ses présumés complices.

Gauthier veut faire exclure de la preuve 15 des 200 conversations que la Poursuite entend présenter contre lui. Dans le cadre du débat sur cette requête, la Défense a commencé par faire entendre au juge Alexandre St-Onge de la Cour du Québec les 15 conversations qu’elle considère d’une qualité insuffisante pour être déposées en preuve.

Cette semaine, la Poursuite réplique en présentant des conversations survenues entre les coaccusés de Claude Gauthier, pour établir un contexte et justifier la pertinence des 15 conversations litigieuses.

« Le premier du mois, ça va aller vite »

L’une d’elles, captée par un micro installé dans la résidence d’un couple arrêté à l’issue du projet Orque, dure plus de deux heures et met en scène un aspirant membre des Hells Angels, Pascal Facchino et son bras droit, Todd Bissett, et constitue une véritable discussion d’affaires.

« Si tu es capable de m’apporter 8000 $ pour les cuts, apporte-moi 8000 $. Si tu es capable de m’apporter 10 000 $, apporte-moi 10 000 $ », dit Facchino, en faisant vraisemblablement référence à la taxe versée mensuellement au membre des Hells Angels qui contrôle le territoire.

« On va s’arranger pour qu’ils achètent tous au début du mois », dit-il plus loin, au sujet des trafiquants qui s’approvisionnent auprès de leur réseau.

« On devrait passer 40 pucks (onces) aux deux semaines. Le premier du mois, ça va aller assez vite », affirme Facchino.

Durant la conversation, les deux hommes parlent du prix du kilogramme de cocaïne et de la quantité de coupe qui doit être ajoutée à chacun d’entre eux. Ils veulent que tous les trafiquants s’approvisionnent auprès d’eux également pour que la cocaïne soit de qualité égale sur le territoire.

« S’il me fait une esti de réponse de plotte, il va (inaudible). M. le patché, y va avoir son mot à dire », dit Facchino au sujet d’un individu qui semble leur causer des problèmes et qui pourrait subir les foudres d’un Hells Angels.

Plus loin, dans une affirmation presque prophétique, Facchino décrit lui-même à son interlocuteur ce qu’il risque s’il est arrêté par l’ENRCO, « l’escouade de marde » comme l’appelle Todd Bissett.

« Tu sais, mais que je me fasse arrêter, ce sera encore un 467 (accusation de gangstérisme). Chef de réseau, tu te fais condamner. Moi en partant là, gangstérisme, c’est quatre à 25 ans », dit-il.

Sa veste des Hells Angles cachée dans un mur

Durant la conversation, les nouvelles jouent en sourdine à la télé. Les deux hommes ne se doutent pas qu’ils feront eux aussi l’objet des téléjournaux deux mois plus tard, lorsque les policiers effectueront des perquisitions en cours d’enquête.

– « Ta veste est-elle chez vous dans une bordure de mur ? », demandera un complice à Claude Gauthier le 12 décembre 2018, jour des perquisitions.

– « Oui », répondra Gauthier, heureux d’avoir ainsi pu empêcher la saisie de sa veste à l’effigie des Hells Angels.

– « Double épaisseur ? », demandera encore l’autre.

– « Oui », répondra encore Gauthier.

Dans une autre conversation captée en juin 2018, après avoir parlé à une représentante d’entreprise au téléphone, Todd Bisset n’a malencontreusement pas bien raccroché la ligne et la police continue d’écouter les conversations qui entrent dans son appareil. Les policiers entendent Bissett et un complice, Denis Savoie, parler de chiffres et de paquets (kilogrammes de cocaïne).

Le débat sur les requêtes en voir-dire présentées par Claude Gauthier se poursuit mardi au Palais de justice de Montréal.

Pascal Facchino, qui est devenu membre des Hells Angels depuis, et Todd Bisset, ont plaidé coupable à des chefs de gangstérisme, complot et trafic de cocaïne. Facchino a été condamné à huit ans de pénitencier et Bisset recevra sa peine bientôt.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le (514) 285-7000, poste 4918, ou écrivez à drenaud@lapresse.ca

Petit lexique du trafiquant

Un paquet ou un bloc : un kilogramme de cocaïne

Un puck : une once de cocaïne

Des bonbons ou pilules : des comprimés de méthamphétamine

Du papier : de l’argent

Une machine : un PGP (appareil dont la messagerie texte est cryptée)

Une run : une route de stupéfiants

Une enveloppe : quote-part ou taxes versées à l’organisation, et la paie des employés

Une grocery : un ravitaillement de stupéfiant

Du mou : de la cocaïne en poudre

Du dur ou de la roche : du crack

Une banque : une cache

De la poussière : de la cocaïne en poudre

Dans le désert : ne plus avoir de stupéfiants, être à sec

La compagnie : organisation criminelle qui contrôle le réseau

Une capote : Enveloppe posée par les fournisseurs et qui recouvre un kilo de cocaïne

Du stock : des stupéfiants

La facture : le décompte de la semaine

Source : rapport d’un expert de la Division du crime organisé du SPVM déposé en cour