C’est par un bras de fer pour le maintien ou non, dans la preuve, d’une quinzaine de conversations interceptées par la police, que le procès du Hells Angels Claude Gauthier s’est ouvert lundi, au Palais de justice de Montréal.

Gauthier, 52 ans, est accusé de gangstérisme, complot et trafic de stupéfiants à la suite de son arrestation en avril 2019, à l’issue du projet Orque, mené par l’Escouade nationale de répression du crime organisé, chapeautée par la Sûreté du Québec.

Le motard est détenu depuis ce temps. Son procès s’est ouvert avec des débats sur des requêtes de la Défense, mais c’est en juillet prochain qu’il devrait véritablement débuter avec la présentation de la preuve accumulée contre Gauthier.

À noter que Claude Gauthier est le seul de la trentaine d’accusés du projet Orque dont le dossier n’est toujours pas réglé. Tous les autres ont plaidé coupable et ont été condamnés.

Mots inaudibles

Durant le procès, la Poursuite — assurée par MMarie-France Drolet, MHan-Catherine Morin et MIsabelle Poulin — veut présenter 200 conversations interceptées durant l’enquête.

Mais la Défense, représentée par MAnnie Lahaise et MMylène Lareau, veut en faire exclure 15, dont certaines captées dans le véhicule d’un coaccusé et Hells Angels, Pascal Facchino.

Dans leur requête, les criminalistes soutiennent que plusieurs mots dans les conversations sont inaudibles et des phrases, souvent incomplètes. Elles arguent que seul l’enregistrement des conversations constitue de la preuve, que les transcriptions que les policiers en ont faites ne reflètent pas les mots prononcés par les interlocuteurs, et que dans au moins un cas, les policiers auraient mal identifié un interlocuteur qui n’était pas présent dans la conversation concernée.

« L’Accusé soutient que la preuve des enregistrements audio ne comporte pas de contexte suffisant au sens de la jurisprudence afin de permettre au juge d’en comprendre la signification et que seules des conjectures et des spéculations pourraient combler les lacunes de la preuve, ce qui est par ailleurs à proscrire selon l’état du droit actuel », écrit MLahaise dans sa requête.

Trois micros chez lui

Un policier responsable de l’écoute électronique, Marc-André Lazure, a témoigné et expliqué au juge Alexandre St-Onge de la Cour du Québec que durant l’enquête Orque, trois micros ont été installés dans la résidence de Claude Gauthier à Nicolet et un dans son véhicule. Son téléphone cellulaire a également été écouté.

Le témoin a admis que les bavards installés chez Gauthier ont capté des sons ambiants, « la télé, de la musique, une ambiance de fête et des individus qui se rassemblaient chez lui pour s’entraîner, donc des bruits de poids », a décrit le témoin.

Le policier a aussi dit que dans un cas, il lui a fallu une journée pour effectuer le mot à mot d’une conversation de sept minutes, parce qu’il a dû reculer des bouts et les réécouter.

Il a également raconté qu’un travail de « déparasitage » a été fait par la Sûreté du Québec sur les conversations, de façon à ce que la voix domine les autres sons ambiants.

Le juge St-Onge a d’abord décidé d’écouter les conversations litigieuses sans lire les transcriptions.

La Presse a pu en entendre trois captées en octobre 2018 et a effectivement constaté — sans l’aide des transcriptions — que les bruits ambiants étaient forts et les conversations, difficiles à comprendre — surtout entre deux couplets du succès Despacito de Luis Fonsi — mais les conversations seraient vraisemblablement plus claires dans d’autres conditions.

En revanche, les transcriptions de l’une des conversations, tenue le 24 octobre, jour où les policiers effectuaient des perquisitions en Montérégie, révèlent que Pascal Facchino, Claude Gauthier et un autre individu auraient discuté des perquisitions, des Hells Angels et d’un certain Sébastien Primeau.

Les transcriptions d’une conversation tenue trois jours plus tard indiquent que Facchino, Gauthier et un autre individu auraient parlé de cocaïne et de kilos.

Après l’écoute des conversations litigieuses, la Poursuite a demandé au juge de ne pas les écarter puisque le reste de la preuve servira à établir leur contexte.

Les procureures ont présenté deux vidéos ; sur la première Facchino se présente chez Gauthier, et sur l’autre, ce dernier découvre une caméra chez lui et la retire.

PHOTO TIRÉE D’UNE VIDÉO DÉPOSÉE EN COUR

Le 12 novembre 2018, Claude Gauthier (à gauche) a découvert une caméra de la police chez lui et l’a retirée

Claude Gauthier, qui était d’une relative bonne humeur, a suivi l’audience de la prison où il est incarcéré, le téléphone collé sur l’oreille. COVID-19 oblige, le motard a décontaminé le combiné au produit désinfectant et enfilait ou enlevait son masque chaque fois lorsqu’il entrait ou sortait du parloir.

Le débat sur les conversations se poursuit mardi.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le (514) 285-7000, poste 4918, ou écrivez à drenaud@lapresse.ca