Même s’il a l’âge mental d’un enfant, un Montréalais de 61 ans devra purger au moins la prochaine décennie derrière les barreaux pour avoir étranglé et poignardé sa conjointe vulnérable. Dans cette affaire unique au pays, Yves Nadeau a renoncé vendredi à présenter une défense de non-responsabilité criminelle pour troubles mentaux, malgré son importante déficience intellectuelle.

Le juge Mario Longpré a ainsi rendu un verdict « final » de culpabilité de meurtre au second degré vendredi matin au palais de justice de Montréal. En raison de la pandémie, le juge présidait l’audience par vidéoconférence, alors que les avocats se trouvaient dans la salle. Téléphone à l’oreille, Yves Nadeau écoutait le tout depuis un parloir en détention.

La triste histoire remonte à février 2014. Yves Nadeau partage alors un petit appartement insalubre avec Louise Girard dans Hochelaga-Maisonneuve. Pour une raison qui demeure inconnue, il a poignardé à deux reprises sa conjointe. Il a ensuite appelé le 911 en rapportant que celle-ci était « tombée sur la tête ».

Yves Nadeau a également tenté de maquiller la scène de crime en lavant le couteau dans l’évier et en nettoyant « sans grande réussite » des traces de sang dans la salle de bains. Depuis le début, il nie toute responsabilité et martèle que Louise Girard est simplement « tombée », alors qu’il était à la toilette. Une version « invraisemblable », selon le juge.

Déjà assuré d’écoper de la prison à vie, Yves Nadeau devrait cependant être admissible à la libération conditionnelle après la période minimale de 10 ans, réclame son avocat. C’est que l’homme de 61 ans a une déficience intellectuelle « importante », a insisté MMartin Latour. Selon les experts, son quotidien intellectuel varie de 45 à 60. « C’est quelqu’un qu’on peut assimiler à un enfant de moins de 10 ans. Ça vous en dit pas mal ! », a ajouté le criminaliste.

« Faire prêter serment à M. Nadeau n’a pas été une sinécure ! Il souffre d’une déficience intellectuelle patente… Ça saute aux yeux ! Ça saute tellement aux yeux que lorsque M.  Nadeau commence à témoigner [au procès], on interrompt son témoignage pour l’envoyer subir une évaluation concernant son aptitude à comparaître ! », a illustré MLatour.

Selon le criminaliste, « l’importante » déficience intellectuelle de Yves Nadeau ne l’exonère pas de sa responsabilité criminelle, mais demeure un « facteur très, très, important à considérer ». De plus, le sexagénaire est lui-même une personne « vulnérable ». Ce sont d’ailleurs ses parents octogénaires qui s’occupent de lui. Aussi, Yves Nadeau a appelé les secours, a pressé les intervenants de sauver sa conjointe et a toujours respecté ses conditions de remise en liberté, a énuméré MLatour.

PHOTO DÉPOSÉE EN PREUVE AU PROCÈS D'YVES NADEAU

Un cas classique de violence conjugale, dit la Couronne

La Couronne a toutefois brossé un portrait bien différent de l’accusé vendredi en insistant notamment sur le contexte aggravant de violence conjugale. La poursuite réclame ainsi une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 13 ans. « N’eût été la déficience intellectuelle, je vous aurais suggéré 15 ans », a d’ailleurs souligné MCatherine Perreault.

Oui, Yves Nadeau a une déficience intellectuelle « légère ou légère à moyenne », soutient la poursuite, mais il n’y a aucune preuve que sa déficience est à l’origine du meurtre. Le Montréalais n’a pas commis son crime « sous l’effet d’une maladie mentale, comme une psychose », a expliqué MPerreault.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

MCatherine Perreault, procureure de la Couronne

« Vous avez un individu qui comprend la distinction entre le bien et le mal. Vous avez une situation d’un cas classique de violence conjugale. M. Nadeau a donc assassiné sa conjointe dans leur propre appartement », a plaidé la Couronne, en relevant les nombreuses blessures de la victime.

De plus, Louise Girard était une personne « vulnérable », a insisté la procureure. La victime avait des problèmes de santé mentale et a longtemps été sous tutelle ou curatelle. Elle a d’ailleurs quitté un centre d’hébergement pour vivre avec Yves Nadeau, alors qu’il était considéré comme une bonne influence. Néanmoins, Mme Girard était « sous le contrôle » de Yves Nadeau, estime MPerreault.

Un « deuil sans fin »

Dans une lettre crève-coeur, la fille de la victime a rendu hommage à sa mère Louise Girard, une femme passionnée de piano et de lecture qui aimait « tellement » peindre et jouer du Chopin ou du Beethoven.

« Il a été troublant de constater dans l’appartement que rien de l’identité de la belle Louise ne semblait avoir subsisté. Comme si cet homme avait entièrement détruit ce qui lui restait », a déploré Maude Martineau, dans la lettre lue par MPerreault.

Plongée dans un « deuil sans fin », la fille de la victime regrette que Yves Nadeau l’ait empêché d’avoir un « dernier contact » avec sa mère, alors que celle-ci avait coupé les ponts avec sa famille. « Je n’ai pas pu lui présenter sa seule petite-fille. J’aurais aimé reprendre contact avec elle, que ça ne se termine pas aussi brusquement », a regretté Mme Martineau.

Le juge Longpré doit rendre sa décision le 8 mai prochain.