Rabih Alkhalil était responsable des importations de cocaïne au sein d’une organisation dont il était une tête dirigeante.  

C’est ce qu’un agent civil d’infiltration (ACI) recruté par la Sûreté du Québec a notamment déclaré jeudi au procès d’Alkhalil, accusé de gangstérisme, complot pour importation de cocaïne, trafic de cocaïne et trafic d’argent.  

Rabih Alkhalil, 32 ans, a été arrêté en 2013, dans la foulée d’une enquête baptisée Loquace par laquelle la SQ a démantelé un consortium de six individus qui auraient tenté d’accaparer le monopole de la distribution de cocaïne au Canada, selon la théorie de la police. Au total, 90 personnes, qui ont presque toutes été jugées, ont été arrêtées dans l’opération.  


Cet ACI, dont on doit taire le nom, était l’homme de confiance de Frédéric Lavoie, l’un des membres du consortium, assassiné à Medellín, en Colombie, en 2014.  


Il a raconté avoir été condamné à la suite d’une importation en 2008, qu’il s’est ensuite retrouvé avec une dette envers le crime organisé et que c’est la raison pour laquelle il a commencé à donner des informations à la police.  

100 kg dans la salle de bain

Après avoir fini de purger sa peine, en 2011, il a commencé à fréquenter Lavoie, car les deux hommes avaient des clients acheteurs de cocaïne à Québec et Montréal.  

À la demande de Lavoie, l’ACI lui a trouvé un local au 950 de la rue Notre-Dame à Montréal, pour entreposer la drogue. Le 24 mai 2012, il a reçu 100 kilogrammes de cocaïne d’un individu surnommé Stéroïdes.  

« J’ai reçu un message PGP (crypté) de Lavoie voulant que 100 kilos allaient rentrer dans l’endroit sécuritaire et que je ne pouvais pas sortir de l’appartement, juste pour manger, que je devais revenir, que je ne pouvais pas faire entrer personne à l’intérieur, juste moi, jusqu’à ce qu’il me dise ce que je devais faire avec. Il s’est passé environ une semaine avant que l’on commence la distribution » a décrit l’ACI, qui a alors profité de ce délai pour prendre des photos de la cocaïne, et de les envoyer à la police.  

PHOTO DÉPOSÉE EN COUR

Les sacs de cocaïne saisis par la police.

« Les policiers de la SQ étaient surpris de voir toute la quantité de coke qu’il y avait dans la salle de bain. Je ne pouvais pas mettre ça dans le coffre-fort qui était vraiment trop petit. Après l’envoi de ces photos, cela a fait que mon processus d’ACI s’est mis en marche et est devenu plus sérieux », a dit le témoin.  

Le gardien des kilos

L’ACI a également raconté que la première et seule fois qu’il a vu Rabih Alkhalil, c’était dans un bar du boulevard Saint-Laurent durant l’été 2012. Il était accompagné de Lavoie, et ce dernier et Alkhalil ont amorcé une conversation.  

« Je sais que la discussion était à propos de moi, car il (Lavoie) m’a pointé et m’a ensuite présenté (à Alkhalil). Rabih voulait savoir qui avait les kilos de cocaïne et qui était l’homme de confiance de Lavoie, car ce n’était pas rien d’être responsable de 100 kilos de cocaïne, qui valent 5 millions », a expliqué l’ACI

« Connaissiez-vous le rôle d’Alkhalil ? », lui a demandé la procureure de la Poursuite, Me Tian Meng.  

« C’était un associé, un partner, comme une tête dirigeante, c’est lui qui était en haut », a t-il répondu.  

« C’était quoi ses fonctions ? » a renchéri la procureure.  

« Lavoie me dit que c’est Robbie qui est en haut, qui est responsable des importations », a poursuivi le témoin.  


Ce passage du témoignage de l’ACI a toutefois fait bondir l’avocat d’Alkhalil, Me Christian Gauthier, qui s’est objecté, affirmant que jamais l’ACI avait tenu de tels propos dans ses déclarations passées et que la Poursuite le prenait ainsi complètement par surprise.  


La juge Anne-Marie Jacques de la Cour du Québec lui a répondu qu’il pourrait se reprendre lors du contre-interrogatoire.  


L’ACI a également précisé que les surnoms d’Alkhalil dans l’organisation étaient Honda et Lambo (pour Lamborghini). Il a expliqué des feuilles de comptabilité de vente et de distribution de cocaïne affichant le mot Honda au bout de chiffres.  


Il a également affirmé qu’Alkhalil aurait été propriétaire d’un commerce de vêtements et de bijoux de luxe, sur la rue Sherbrooke, au centre-ville de Montréal, où travaillait l’ex-conjointe de Lavoie, et où il (l’ACI) a effectué des dépôts d’argent, notamment d’un montant de 20 000 $ le 17 août 2012.

Le témoin a aussi épluché des livrets de comptabilité et indiqué que certains montants importants étaient pour Honda et des sommes de 1 million et de 2 millions pour Lambo.

Il a également expliqué plusieurs messages cryptés dont un a fait référence à une rencontre avec « Scoppa et le
partner de Cazzetta ».

Inquiétudes et chaleur policière

L’ACI a aussi raconté que Lavoie a perdu son appareil PGP alors qu’il était à l’extérieur, qu’il n’a pas répondu à ses messages cryptés durant quelques jours, que sa conjointe et ses associés s’inquiétaient et ont pensé qu’il « s’était fait passer ».

L’un des messages de Lavoie lui annonçait l’entrée prochaine de kilos, « et qu’il devait aller avec Honda en Colombie cette semaine ».

Mais à un certain moment, le groupe de Lavoie a senti la chaleur policière, selon d’autres messages. L’un des suspects, surnommé La chaise, a dit qu’il avait été suivi par plusieurs véhicules.

« Pour moi Honda va se faire ramasser bientôt », a écrit Lavoie à l’ACI.

« Les messages disaient qu’ils cachaient Honda des policiers. Fred disait qu’il faisait de la contre-filature avec des policiers. Je lui dis de revenir ici avant qu’il lui arrive quelque chose », a expliqué l’ACI, ajoutant plus tard qu’il était continuellement sur son appareil de communications crypté.

« J’avais mon PGP dans les mains, tous les jours, 24 heures sur 24 », a-t-il décrit.

Son témoignage se poursuit demain.

Pour joindre Daniel Renaud, composez-le (514) 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.