À peine remise de la mort de son mari un mois plus tôt, une femme de 75 ans n’était pas au bout de ses peines : elle a appris que sa maison venait d’être vendue. À son insu. Un auteur de ce stratagème méconnu mais fréquent a récemment écopé de 18 mois de prison.

Christine Gorska Kurstak a eu tout un choc, il y a deux ans, lorsqu’elle a su qu’elle avait été victime d’une fraude rocambolesque, mais pas rarissime. C’est son fils, cinq semaines après la mort de son mari, Édouard Kurstak, qui l’a informée que sa résidence d’Outremont avait été vendue.

Une maison évaluée à 1,2 million, libre d’hypothèque, et qui appartenait à elle et à son défunt mari. N’habitant pas dans cette résidence de l’avenue Saint-Viateur, les propriétaires la louaient à des particuliers depuis plusieurs années.

Le fils du couple, Daniel Kurstak, a senti qu’il y avait anguille sous roche lorsqu’il a trouvé une carte professionnelle d’un arpenteur-géomètre devant la porte de la maison, le 3 mai 2017.

En contactant le professionnel, ce dernier a affirmé qu’Édouard Kurstak l’avait engagé pour faire un plan de localisation afin de vendre la maison au plus offrant. Gros bémol : cette demande avait été formulée en avril 2017… alors qu’Édouard Kurstak était mort quelques jours plus tôt.

Daniel Kurstak a reçu la nouvelle avec stupéfaction. Pour en avoir le cœur net, il a consulté le registre foncier, où il a constaté que la résidence avait bel et bien été vendue à un dénommé Géracimos Nicolaidis.

« Tout ceci était très étrange pour les victimes, car ils ne sont jamais allés chez le notaire, ils n’ont jamais fait de transactions dans ce sens-là », a expliqué le procureur aux poursuites criminelles et pénales, MLouis-Philippe Meek Baillot, en résumant l’affaire à la juge Joëlle Roy.

Plainte pour fraude immobilière

Dans cette histoire, Géracimos Nicolaidis a lui aussi porté plainte pour fraude immobilière. Il a expliqué à un agent du Service de police de la Ville de Montréal qu’il avait été contacté pour « faire un flip immobilier », qu’il avait visité la maison en présence du propriétaire et que la transaction avait été conclue devant un notaire, pour une somme de 890 000 $.

Dans les faits, ce n’est pas le couple de septuagénaires qui a fait visiter la maison et qui s’est présenté devant le notaire. Il s’agissait de deux autres personnes, les coaccusés Christiane Bédard et Adel Haddad.

Lors de la vente de la résidence, M. Haddad a personnifié M. Édouard Kurstak chez le notaire, à l’aide de fausses pièces d’identité. Même si M. Kurstak était décédé à ce moment-là.

Me Louis-Philippe Meek Baillot, procureur aux poursuites criminelles et pénales, à la cour

C’est notamment grâce aux photos sur les fausses pièces d’identité (carte d’assurance sociale, carte d’assurance maladie et une carte du gouvernement du Canada) que les enquêteurs ont pu identifier Adel Haddad, un homme de 59 ans avec des antécédents judiciaires, pour ensuite l’arrêter.

Adel Haddad, qui a plaidé coupable à un chef de fraude, a écopé il y a deux semaines de 18 mois de prison et d’une probation de deux ans. Mais compte tenu de sa détention préventive, il ne lui reste que six mois à purger. Trois coaccusés, Christiane Bédard, Étienne Brousseau et Sonia Boisvert, ont aussi plaidé coupable dans cette affaire.

« Au final, Mme Gorska Kurstak a réussi à récupérer le titre de sa propriété, suite à des poursuites civiles qui lui ont engendré des coûts d’environ 40 000 $ en frais d’avocat », a indiqué MMeek Baillot.

Stratagème de fraude « très facile à faire »

Ce stratagème de fraude par transfert de titres est « de plus en plus fréquent » en plus d’être « très facile à faire », maintient Sylvain Paquette, président et analyste en fraude du Bureau canadien du crédit.

Les fraudeurs cherchent les propriétés libres d’hypothèque. Les « snowbirds » représentent une cible parfaite, puisqu’ils sont « absents de leur maison pendant une longue période », selon l’expert.

La présence de statues de « lion blanc » devant une propriété facilite également le travail des fraudeurs : « C’est une pratique dans certaines cultures de laisser savoir à son voisinage que la maison est finie d’être payée. »

Sylvain Paquette suggère aux propriétaires d’acquérir une « assurance titre sur la propriété », au coût d’environ « 200 à 300 $ ». « Sachant qu’il y a 8,3 millions d’habitants au Québec et qu’il y a eu 8 millions de victimes touchées par le vol de données [chez Desjardins], je vous dirais que tout le monde devrait s’en procurer une », dit-il.