Le fondateur de l’Association des salons de massages érotiques du Québec (ASMEQ) se dit surpris et choqué de constater que le présumé meurtrier de Marylène Lévesque avait obtenu la bénédiction de l’État pour fréquenter des travailleuses du sexe.

« Il y a une certaine hypocrisie dans cette histoire. Un employé du gouvernement envoie quelqu’un dans un endroit qui est considéré comme illégal selon la loi », affirme Yanik Chicoine, propriétaire d’un salon de massages érotiques dans l’est de Montréal.

Eustachio Gallese est soupçonné d’avoir tué Marylène Lévesque dans un hôtel du quartier Sainte-Foy, à Québec. Les deux se seraient rencontrés dans un salon de massages de Québec, le Gentlemen Paradise.

Gallese, qui a tué son ex-conjointe en 2004, était en semi-liberté. « Une stratégie a été développée afin que vous puissiez rencontrer des femmes, mais seulement afin de répondre à vos besoins sexuels », peut-on lire dans un rapport de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) daté du 19 septembre dernier.

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

La victime, Marylène Lévesque

« Votre équipe de gestion de cas vous a permis de faire ces rencontres, moyennant que vous fassiez preuve de transparence », explique le rapport. Plus loin, les commissaires reconnaissent que les relations du détenu avec ces femmes sont « plutôt inappropriées » et que cette stratégie constitue « un facteur de risque important et inquiétant ».

Yanik Chicoine rappelle que depuis 2014 et la loi C-36, les clients et les propriétaires des salons érotiques sont dans l’illégalité. Il comprend mal comment un homme qui a tué sa femme, en état de semi-liberté et encadré par un agent de libération conditionnelle, a pu fréquenter des salons de massages dans le cadre d’une « stratégie » approuvée par la Commission.

La situation actuelle est complètement ridicule. Les clients sont maintenant coupables de crimes et les propriétaires d’établissements risquent l’emprisonnement. Moi, disons que je ne dors pas sur mes deux oreilles.

Yanik Chicoine, fondateur de l’Association des salons de massages érotiques du Québec

Le propriétaire du salon La Montréalaise dit toutefois comprendre que la visite dans des salons puisse faire partie d’une thérapie. « Ça peut être une thérapie bénéfique si c’est bien encadré et opéré en toute sécurité », dit-il.

Mais il se demande si le salon que fréquentait Gallese à Québec avait été prévenu par la Commission ou l’agent de libération conditionnelle. Le Gentlemen Paradise n’a pas rappelé La Presse.

« Je suis choqué que les salons n’aient pas été mis en garde, prévenus que cet individu avait un passé extrêmement violent », explique Yanik Chicoine, qui aimerait la légalisation des salons érotiques.

« Ces clients-là sont des humains, ils ont des besoins. Certaines filles auraient peur de donner des services à ces clients-là, croit-il. Mais certaines seraient prêtes à le faire, mais ce serait important qu’elles soient au courant. »

Cette information aurait-elle pu sauver la victime de 22 ans ? Selon un ami de Marylène Lévesque cité par Le Soleil sous un nom d’emprunt, elle était au courant du passé de son client. Cette information n’a toutefois pu être corroborée.

Une décision incompréhensible

Pour un ancien agent de libération conditionnelle, la stratégie qui semble avoir été employée dans ce dossier est incompréhensible.

Philippe Bensimon, docteur en criminologie, chargé de cours à l’Université de Montréal et ancien agent de libération conditionnelle qui a supervisé 1000 dossiers, est catégorique : suggérer de faire un acte illégal, comme fréquenter un salon érotique ou une prostituée, est insensé.

« Je n’ai pas le dossier devant moi, mais si ce qui est rapporté dans les médias est vrai, ce n’est pas acceptable », dit M. Bensimon.

Ça laisse à désirer. On ne peut pas inscrire dans un plan de traitement le fait qu’un individu puisse rencontrer des prostituées. Un client qui se fait prendre avec une escorte peut être passible d’une inculpation.

Philippe Bensimon, docteur en criminologie

Selon lui, l’un des problèmes majeurs du système de libérations conditionnelles est le manque d’expérience des commissaires. « Les commissaires ne sont pas des professionnels, ils n’ont pas de formation précise en dangerosité, ils apprennent sur le tas et sont nommés essentiellement pour des considérations politiques », avance-t-il.

« Les commissaires doivent représenter monsieur et madame Tout-le-Monde, comme des jurés. Et c’est là que le bât blesse. »

Bill Blair à la défense des commissaires

À Ottawa, le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, a écarté du revers de la main la thèse voulant que le manque d’expérience des commissaires ait pu mener à la décision d’accorder une semi-libération à Eustachio Gallese pour lui permettre de rencontrer ces femmes.

Il a affirmé que l’enquête menée conjointement par Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles permettront de faire toute la lumière sur les circonstances qui ont mené à cette sordide affaire. Il veut attendre le rapport de cette enquête afin de tirer quelque conclusion que ce soit.

PHOTO ERICK LABBÉ, LE SOLEIL

Le suspect, Eustachio Gallese

« Les gens à l’emploi de la Commission des libérations conditionnelles font, je crois, un travail remarquable. Ce sont des professionnels dévoués et ils reçoivent la formation nécessaire pour prendre les décisions en tant que commissaires. Nous renouvelons le mandat de certains et nous faisons de nouvelles nominations comme c’est nécessaire », a affirmé le ministre Blair à l’issue d’une réunion du Cabinet.

Dans une lettre publiée mardi dans certains quotidiens québécois, Dave Blackburn, ancien commissaire de la Commission des libérations conditionnelles, a soutenu que le gouvernement fédéral avait une part de responsabilité dans cette tragédie.

Selon M. Blackburn, qui a été candidat conservateur dans Pontiac au dernier scrutin et qui est professeur agrégé à l’Université du Québec en Outaouais, le gouvernement fédéral a choisi de modifier le processus de nomination des commissaires et le processus de renouvellement de leur mandat. « Ces changements ont eu des répercussions majeures sur le fonctionnement de la Commission, sur la perte d’expertise, de connaissances et d’expérience des commissaires, sur le manque d’encadrement en audience », a-t-il fait valoir.

Il a souligné qu’un groupe d’une dizaine de commissaires du Québec avait écrit une lettre au premier ministre Justin Trudeau pour l’informer de ses craintes relativement aux changements apportés.

Selon le député conservateur de la région de Québec Pierre Paul-Hus, il importe de faire la lumière sur les inquiétudes soulevées par M. Blackburn, d’où l’importance de saisir le comité de la sécurité publique de cette affaire dès la semaine prochaine.

Eustachio Gallese et les libérations conditionnelles

30 août 2012

Eustachio Gallese obtient une première sortie, escorté par des agents correctionnels, pour assister aux funérailles d’un membre de sa famille. Il est menotté durant le transport. 

7 mars 2016 

Des commissaires permettent à Gallese d’effectuer des sorties avec escorte, à raison d’au moins cinq jours par semaine, pour suivre des cours, faire du bénévolat et avoir des rapports familiaux.

13 septembre 2017 

Les commissaires, qui ont interrogé et écouté Gallese en audience, lui accordent pour la première fois des permissions de sortie sans escorte pour avoir des rapports familiaux, à raison d’un maximum de 72 heures par mois. C’est la première fois qu’apparaît la condition obligeant Gallese à aviser ses surveillants de tout rapport ou fréquentation intime, sexuel ou non.

6 décembre 2018 

Des commissaires renouvellent pour un an, sans avoir interrogé et écouté Gallese, ses permissions de sorties sans escorte pour rapports familiaux. Ils lui imposent la même condition l’obligeant à aviser ses surveillants de tout rapport ou fréquentation intime, sexuel ou non. Les deux commissaires qui ont rendu la décision avaient été nommées cinq mois plus tôt, l’une à temps partiel. 

26 mars 2019 

Des commissaires permettent à Gallese – après l’avoir entendu – d’aller en maison de transition et lui imposent des conditions, notamment d’aviser ses surveillants de toute fréquentation intime, sexuelle ou non. L’une des commissaires signataires a été nommée en juillet 2018 alors que l’autre est la même commissaire à temps partiel qui a signé la décision précédente.

19 septembre 2019 

Des commissaires, après avoir écouté Gallese en vidéoconférence, prolongent sa semi-liberté mais se questionnent sur « une stratégie développée pour que celui-ci puisse rencontrer des femmes, mais seulement afin de répondre à ses besoins sexuels ». Les commissaires jugent « inappropriées » ces relations avec les femmes et écrivent « s’attendre à ce que cette grille d’analyse qui a culminé à cette approche soit réexaminée ». Les deux commissaires ont été nommés en juillet 2018. Mercredi dernier, une jeune femme est tuée à Québec et Gallese est accusé du crime.

Sources : décisions de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et site des nominations du gouvernement du Canada

Funérailles de la victime : « On n’a rien pour l’enterrer »

Les proches de Marylène Lévesque se mobilisent pour financer ses funérailles. Tard lundi soir, sa famille et ses amis ont lancé une campagne de sociofinancement sur la plateforme 1DG intitulée « À la mémoire de Marylène Lévesque ».

Tous les fonds serviront à payer les funérailles et, s’il y a un surplus, il sera remis à l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD). « On n’a pas le choix. On n’a rien pour l’enterrer », a dit Max Lance, ami de Marylène Lévesque et l’un des initiateurs de la campagne avec l’amoureux de la défunte, Gabriel Truchon, et ses amies Arianne Garneau et Mia Gravel.

« Il y a plein de monde qui, même s’ils ne la connaissent pas, voudraient lui dire adieu. On ne veut pas juste louer un local miteux avec une chandelle à côté de sa photo. On ne peut pas faire ça », ajoute M. Lance. Des membres de la famille et des amis de la défunte ont offert de payer une partie des funérailles, mais les sommes rassemblées jusqu’ici sont loin d’être suffisantes.

— Marc Allard, Le Soleil