(Québec) Quelques jours avant d’assassiner Rosalie, Audrey Gagnon était « désespérée » et terrifiée à l’idée de se faire enlever sa fille par la DPJ. Elle n’avait plus d’argent pour la nourrir et sentait n’avoir « nulle part où aller ».

La femme de 25 ans a témoigné publiquement pour la première fois, jeudi, à propos des circonstances entourant la mort de sa fille de 2 ans. Mme Gagnon s’est exprimée dans le cadre de l’enquête publique du coroner sur les évènements d’avril 2018.

Audrey Gagnon soutient que la Maison Marie-Rollet l’a forcée à partir, cinq jours avant le drame, alors qu’elle n’avait nulle part où aller.

« Je n’avais même plus d’argent pour nourrir ma fille. Je ne savais plus quoi faire », a expliqué Audrey Gagnon par visioconférence à partir du pénitencier de Joliette.

Son témoignage n’a pas abordé le meurtre comme tel. Il s’est plutôt concentré sur les jours qui l’ont précédé et notamment sur son passage à la maison d’hébergement. Elle n’a pas raconté les dernières heures de Rosalie. Elle n’a pas expliqué non plus comment, elle qui a été décrite comme une mère aimante et douce envers sa fille, a pu la tuer.

Audrey Gagnon a expliqué qu’elle vivait chez sa mère en février 2018 lorsque celle-ci a vécu des problèmes de santé mentale.

La situation a été signalée à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). La DPJ aurait alors dit à Audrey Gagnon qu’elle ne pouvait plus vivre là. Elle est donc partie le 19 février avec Rosalie à la Maison Marie-Rollet.

Son passage là-bas a bien commencé. Mais la situation s’est dégradée. Elle avait du mal à se lever le matin. Elle consommait du cannabis. Un soir, elle a laissé sa fille seule dans son berceau pendant 45 minutes pour aller au dépanneur, hors de portée du moniteur.

Le lendemain, le 12 avril, une intervenante a reproché ce manquement à Mme Gagnon. La conversation a mal tourné. La mère a insulté l’intervenante. Mais elle assure ne jamais l’avoir menacée de la « brûler vive ».

« C’est très flou. Mais je me souviens très bien que je ne les ai pas menacées de les tuer. Je sais que je n’aurais jamais fait ça », a dit Audrey Gagnon.

Elle assure aussi qu’elle a bel et bien été expulsée de la Maison Marie-Rollet. Son départ n’était pas une décision mutuelle selon elle, comme l’ont soutenu plusieurs intervenantes de la Maison Marie-Rollet qui ont témoigné cette semaine.

« Je sais très bien que je n’ai jamais dit que je voulais quitter, je n’avais nulle part où aller », a-t-elle dit.

Dans un appartement insalubre

Le 12 avril, cinq jours avant le meurtre de Rosalie, Audrey Gagnon doit donc quitter la maison d’hébergement. Elle a expliqué n’avoir trouvé qu’un seul endroit où aller vivre, chez un « ami », soit l’ancien colocataire d’un ex-copain.

Elle affirme que la Maison Marie-Rollet a refusé de lui donner un billet d’autobus. Elle soutient avoir dû marcher pendant quatre heures sous la pluie.

Mais le logement de l’homme se révèle insalubre. « C’était dangereux pour ma fille. Il y avait plein d’objets sur le plancher. » Audrey Gagnon apprend alors que l’homme « n’aime pas les enfants ». Visiblement mal, Rosalie pleure de plus en plus.

Audrey Gagnon a expliqué avoir parlé de cette situation à une intervenante de la DPJ au téléphone. Elle appelle le 13 avril la Maison Marie-Rollet et supplie qu’on la reprenne. La maison d’hébergement refuse.

Des intervenantes de Marie-Rollet ont expliqué cette semaine qu’il était impossible de la reprendre, car sa crise avait dépassé les bornes. Elles la croyaient par ailleurs en sécurité chez un ami.

« J’étais dépressive, anxieuse, désespérée », a dit la femme qui était alors bénéficiaire de l’aide sociale.

Mais la version des évènements présentée par Audrey Gagnon a été nuancée par un autre témoignage entendu jeudi. La directrice de la Maison du cœur pour femmes a affirmé que son établissement aurait pu l’accueillir.

Mme Gagnon a appelé cette maison d’hébergement le 12 avril. Une intervenante lui a demandé de rappeler plus tard pour discuter de son admission. Elle n’a rappelé que le lendemain et a raccroché au nez de l’intervenante lorsque celle-ci lui a demandé d’expliquer les circonstances de son départ de la Maison Marie-Rollet.

« Il y a de fortes possibilités qu’on aurait admis madame », a expliqué Édith Mercier.

La DPJ n’avait pas l’adresse

L’intervenante de la DPJ attitrée à son dossier a aussi expliqué à la coroner Géhane Kamel qu’elle avait réussi à trouver une place d’hébergement à Audrey Gagnon. Mais celle-ci a cessé de répondre aux appels de la DPJ à partir du 16 avril en après-midi.

La DPJ n’a jamais réussi à obtenir l’adresse où sont allées vivre Audrey et Rosalie après leur départ de Marie-Rollet. La mère n’avait pas été capable de la fournir. La coroner s’est demandé pourquoi la DPJ n’avait pas adopté des moyens plus énergiques pour la retrouver.

« Vous avez une situation possiblement explosive avec l’information reçue de Marie-Rollet, est-ce qu’il vous vient à l’esprit de dire à un superviseur : on a un problème avec Mme Gagnon ? », a demandé la coroner à l’intervenante de la DPJ, qu’une ordonnance nous empêche de nommer.

Audrey Gagnon a connu une enfance difficile. Elle a vécu plusieurs années en famille d’accueil. L’idée que sa fille vive la même chose la « terrifiait », a-t-elle raconté.

« J’avais peur de me faire enlever ma fille. Quand j’étais jeune, j’ai vécu dans plusieurs familles d’accueil. Je ne voulais pas que ma fille vive la même chose parce que j’ai vécu plusieurs abus. »

La femme avait eu des problèmes de consommation de drogue et d’alcool. Elle suivait un traitement à la méthadone. En 2014, elle avait plaidé coupable à une accusation de voies de fait graves. Elle avait passé six mois en détention. Audrey Gagnon avait aussi déjà été hospitalisée pour une psychose toxique.

Le 18 avril, elle a conduit les policiers de Québec jusqu’à un bac vert qui contenait le corps de sa fille.

Après les faits, un oncle et une tante lui ont demandé pourquoi elle n’était pas venue chercher secours chez eux. « Mais ce n’est pas une solution qui m’est venue à l’esprit », a expliqué Mme Gagnon.

Les témoignages dans le cadre de l’enquête du coroner doivent se conclure ce vendredi.