(Montréal) La Loi sur la laïcité de l’État est tellement contraire à l’essence même de la Constitution canadienne, c’est comme si le gouvernement du Québec l’avait amendée — seul et sans suivre les règles —, a plaidé lundi l’un des avocats des contestataires.

Ceux qui tentent de faire invalider la Loi sur la laïcité ont commencé lundi à déployer leur panoplie d’arguments au palais de justice de Montréal.

Cette loi, connue comme « le projet de loi 21 » avant son adoption, interdit le port de signes religieux à certains employés de l’État lorsqu’ils sont dans l’exercice de leurs fonctions, dont les policiers et les enseignants des écoles publiques du primaire et du secondaire.

Le juge Marc-André Blanchard, qui préside le procès, a réservé 14 jours pour écouter tous les points de vue qui seront présentés en plaidoirie.

Me David Grossman, qui représente notamment Ichrak Nourel Hak, une enseignante qui porte le hijab, a été le premier à livrer sa plaidoirie.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

L'enseignante Ichrak Nourel Hak (à droite) à l'origine de la contestation judiciaire

Il a expliqué que la Constitution canadienne n’est pas qu’une suite d’articles : elle est aussi bâtie sur de grands principes. Et que l’un des piliers soutenant l’architecture de la Constitution est la possibilité pour tous de participer à la société, notamment en occupant des postes au sein de la fonction publique québécoise. Car la Constitution est fondée sur l’inclusion et la participation des minorités, a fait valoir le procureur qui représente aussi le Conseil national des musulmans canadiens et l’Association canadienne des libertés civiles.

Ainsi, selon MGrossman, si un gouvernement provincial veut « modifier l’architecture de la Constitution canadienne », il doit suivre la procédure d’amendement.

Sinon, le prochain gouvernement du Québec pourrait, « par simple loi, sans amender la Constitution », décider que tous les enseignants doivent être des sikhs, exclure les femmes de la fonction publique, ou encore, forcer tous les fonctionnaires à faire une prière au Dieu chrétien chaque matin.

La Loi sur la laïcité empêche cette participation égale des citoyens puisqu’elle bloque l’accès à des postes de la fonction publique à ceux qui portent des signes religieux. Elle est si incohérente avec les principes de la Constitution qu’elle doit être invalidée, juge-t-il.

La complexité de l’affaire découle de cette situation : en adoptant la Loi sur la laïcité de l’État, le gouvernement caquiste a invoqué la clause dérogatoire — souvent appelée clause nonobstant — pour passer outre certains droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés. Cela empêche les contestataires d’invoquer la discrimination et de plaider que la loi viole le droit à l’égalité ou encore la liberté de religion.

Ils tentent ainsi de contourner cette difficulté en plaidant d’autres principes de la Constitution canadienne.

Les opposants ont aussi argumenté que la Loi est trop vague selon eux : elle ne définit pas ce qu’est un signe religieux. Une alliance de mariage, par exemple, est un signe religieux pour certains mais pas pour d’autres. Commet les directions d’école peuvent-elles faire appliquer la loi ? ont-ils demandé.

Ils ont aussi plaidé que la loi brime les droits démocratiques des citoyens. Ainsi, un homme portant la kippa (une calotte portée par les juifs pratiquants) pourrait être candidat à une élection et être élu, mais ne pourrait être le président ou un vice-président de l’Assemblée nationale.

Le Mouvement laïque québécois (MLQ) est l’un de ceux qui vont plaider en faveur de la loi, afin qu’elle demeure valide dans son intégralité.

Lundi, l’un de ses avocats, MGuillaume Rousseau, a qualifié les arguments des opposants de « créatifs » et d’« ambitieux », soulignant qu’ils « ont une côte à remonter pour convaincre le juge ».

« L’architecture constitutionnelle, ce n’est pas quelque chose qui est plaidé tous les jours devant les tribunaux », a-t-il commenté en entrevue.

Quant au fait qu’une personne arborant un signe religieux ne pourrait devenir président ou vice-président de l’Assemblée nationale, cette restriction ne vise qu’une poignée de personnes et ne pourrait servir à faire invalider toute la loi.

Le MLQ est d’avis qu’elle est valide, même si la clause dérogatoire n’existait pas. Cette pièce législative n’est qu’une application du principe de neutralité religieuse, qui découle de la liberté de religion : ce qui est déjà reconnu par la jurisprudence, soutient l’avocat.