Bony Jean-Pierre a ignoré les cris des policiers et un coup de semonce, et « était en chute libre » au moment où il a été mortellement atteint par une balle de plastique tirée par un policier du Groupe tactique d’intervention du Service de police de la Ville de Montréal, lors d’une frappe antidrogue qui a mal tourné dans l’arrondissement de Montréal-Nord, le 31 mars 2016.

C’est ce qu’a raconté vendredi un collègue du policier du GTI Christian Gilbert, au procès de ce dernier, qui est accusé de l’homicide involontaire de M. Jean-Pierre.

Ce collègue formait équipe avec M. Gilbert lors de la frappe. Il est le premier témoin visuel direct des évènements tragiques impliquant l’accusé et la victime.

Le policier a déclaré que ce jour-là, Gilbert et lui avaient participé à une formation dans la matinée et qu’on les avait ensuite affectés à la frappe, avec l’équipe de soir.

Lors de deux réunions préparatoires avant l’opération, on lui a notamment dit que l’appartement no 3 du 6330, rue Arthur-Chevrier était une base d’un gang de rue d’allégeance rouge et un point de vente de stupéfiants, et qu’il existait une possibilité que des armes soient présentes.

Il a également été convenu lors de ces rencontres que Gilbert et lui seraient affectés à la couverture avant de l’immeuble et devraient s’assurer qu’aucun suspect ne prenne la fuite par la fenêtre avant ou la porte-fenêtre de l’appartement 3.

D’un commun accord, Christian Gilbert a choisi d’utiliser l’arme intermédiaire ARWEN 37 à projectiles de polymère et son compagnon a opté pour une arme à feu longue.

  • Bony Jean-Pierre

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    Bony Jean-Pierre

  • L’arme intermédiaire ARWEN 37, utilisée par Christian Gilbert

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    L’arme intermédiaire ARWEN 37, utilisée par Christian Gilbert

  • Le 6330, rue Arthur-Chevier

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    Le 6330, rue Arthur-Chevier

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Le signal est donné

Un peu avant 16 h 10, les membres du GTI se sont mis en route vers le lieu visé. Le véhicule dans lequel se trouvaient les agents Gilbert et son compagnon s’est arrêté en chemin à deux reprises, la première fois parce que les enquêteurs affectés à la surveillance de l’immeuble avaient constaté du va-et-vient à l’arrière et la seconde, parce qu’une femme et un enfant passaient dans la ruelle.

Après avoir garé leurs camionnettes, les policiers casqués se sont dirigés rapidement vers l’immeuble, un groupe y entrant en compagnie d’un enquêteur, et Gilbert et son partenaire se postant en face du 6330, rue Arthur-Chevrier, derrière une voiture rouge garée dans la rue.

J’ai entendu le bruit du bélier défoncer la porte, ce qui a provoqué un souffle dans la porte patio. J’ai entendu crier “Police !”, puis des détonations d’une grenade assourdissante. J’ai entendu de nouveau le cri “Police !”

Le partenaire de Christian Gilbert présent lors de la frappe et témoin au procès

Un homme à la fenêtre

« C’est à ce moment que j’ai vu le rideau rouge de la fenêtre se tasser rapidement et un homme apparaître. Il a ouvert la fenêtre et lui et moi, on a eu un contact visuel. Je lui ai crié : “Police !” Mais il a mis une main sur le cadrage, puis un pied. C’est à ce moment que le premier coup de l’ARWEN a été tiré, mais je n’ai pas vu où il est tombé. L’homme a continué sa manœuvre, a mis ses deux mains de chaque côté du cadrage et s’est préparé à faire un bond. J’ai crié “Police !” et je m’apprêtais à lui dire de ne pas bouger, mais il avait amorcé sa descente. C’est à ce moment que le deuxième coup d’ARWEN est parti et j’ai vu qu’il a été atteint à la tête.

« Il s’est lancé dans le vide et sa tête a croisé la trajectoire du tir de l’ARWEN, alors qu’il était en chute libre », a expliqué le témoin, qui évalue qu’il s’est écoulé une dizaine de secondes au maximum entre le coup de bélier dans la porte et le moment où Bony Jean-Pierre a été atteint par le projectile, et environ quatre secondes entre les deux tirs de l’ARWEN.

« Continue à respirer » !

C’est ce policier qui devait donner des consignes aux suspects en cas de résistance et, selon lui, Christian Gilbert n’a prononcé aucune parole à l’intention de M. Jean-Pierre.

Après que M. Jean-Pierre a été atteint, ses pieds ont touché le sol en premier et il s’est ensuite écroulé dos aux deux policiers.

Un autre membre du GTI est alors apparu à la fenêtre. L’appartement étant sécurisé, Gilbert et son collègue se sont dirigés vers le blessé. « Il respirait et tremblotait un peu. Ses yeux étaient fermés et il n’avait aucune réaction. Il avait une grosse prune sur le côté gauche de la tête. J’ai descendu la fermeture éclair de sa veste et de son kangourou pour faciliter la respiration, pendant que M. Gilbert lui tenait la tête », a raconté le policier.

Ce dernier a fouillé M. Jean-Pierre et il n’avait pas d’arme.

« Continue à respirer, Urgences-santé s’en vient », a dit à Bony Jean-Pierre le policier, selon qui lui et son collègue sont alors « passés en mode premiers soins ».

Un tireur d’élite

Le témoin a décrit l’accusé comme un policier émérite, un tireur d’élite qui l’a même formé.

Régulièrement, Christian Gilbert et ses collègues du GTI du SPVM participent à un prestigieux concours de tir qui regroupe également des tireurs d’élite d’autres corps de police et des armées de différents pays, et il a déjà remporté une première place lors de cette compétition qui se déroule tous les deux ans à la base militaire de Gagetown, au Nouveau-Brunswick.

Le soir du 31 mars 2016, je lui ai demandé comment il allait. Il m’a répondu : “Ça va, mais quand tu vises la hanche et que tu atteins la tête, ce n’est pas une bonne journée.” Je sentais qu’il était en contrôle, mais qu’il était atteint par la finalité des choses, tout comme moi.

Le collègue de Christian Gilbert

Le procès, qui est présidé par le juge Yvan Poulin de la Cour du Québec, se poursuivra la semaine prochaine.

Christian Gilbert est défendu par MLouis Belleau et MAnnie Lahaise, alors que MJean-Sébastien Bussières représente la poursuite.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.