Une plaignante « fiable » et « sincère » motivée non par la vengeance, mais par la volonté de protéger sa fille. Un accusé à la version « absurde » qui défie « toute logique ». C’est ainsi que le procureur de la Couronne a résumé la preuve jeudi au procès pour viol et attentat à la pudeur de Gilbert Rozon, dont le sort sera scellé le mois prochain.

Le procureur MBruno Ménard a comparé le témoignage de l’ex-patron de Juste pour rire à une « toile impressionniste » qui ne correspond pas à la « réalité » lorsqu’on s’approche du tableau. Le témoignage du magnat déchu de l’humour n’a « pas de sens quand on l’examine minutieusement » et doit donc être rejeté par la juge, a plaidé le procureur.

Alors que la plaignante soutient avoir été agressée sexuellement par Gilbert Rozon à deux reprises à la fin d’un rendez-vous galant en 1980, l’accusé « inverse littéralement les rôles », selon la Couronne. L’homme de 66 ans affirme s’être réveillé avec la plaignante à « califourchon » sur lui en train de « se faire l’amour » en regardant au loin. « J’ai accepté mon sort », a affirmé Rozon.

« [Dans la version de l’accusé], tout le monde agit de façon absurde. C’est l’absurdité. C’est là que le bât blesse dans cette version. […] Tout à coup, la soirée va devenir absurde. À la fin, c’est quelque chose qui ne devrait pas être cru et qui ne devrait pas soulever de doute raisonnable », a fait valoir Me Ménard.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

MBruno Ménard, procureur de la Couronne

Selon son récit extrêmement détaillé, Gilbert Rozon a commencé à embrasser la plaignante après avoir fait un feu de foyer. Mais lorsqu’il a glissé sa main sous la robe de la jeune femme, celle-ci s’est « immédiatement contractée » et lui a dit « non ». Une réaction « brutale » qui a « désenchanté » Gilbert Rozon, parti immédiatement se coucher.

Aux yeux du procureur, il n’y a « aucune raison logique » que Gilbert Rozon n’ait posé aucune question à la plaignante à la suite de cet incident. La plaignante affirme au contraire que l’accusé s’est « jeté » sur elle pour l’embrasser en mettant sa main dans son décolleté. Ils se sont ensuite tiraillés pendant de longues secondes en roulant au sol. « J’étais vraiment fâchée. Je lui ai dit d’arrêter », a-t-elle témoigné.

En repoussant l’accusé, la plaignante a clairement démontré son absence de consentement, selon MMénard. D’ailleurs, la notion de consentement a beaucoup évolué en quatre décennies, a-t-il rappelé, en mettant en garde le tribunal contre les mythes et stéréotypes véhiculés par la défense. Un reproche qui a fait bondir MPierre Poupart dans sa réplique.

La plaignante affirme également n’avoir jamais consenti à la relation sexuelle du lendemain matin. Après qu’ils eurent dormi dans des chambres différentes, Gilbert Rozon était sur elle à son réveil. Il était « déterminé à avoir des relations sexuelles ». « J’étais fâchée. C’est pas ça que je veux ! C’est pas consenti ! J’ai pu l’énergie, j’ai pu la force. […] La seule façon d’en sortir, c’est de le laisser faire », a-t-elle raconté au procès.

La plaignante n’a aucun « motif oblique »

Selon la défense, la plaignante a été motivée par le désir de « faire payer M. Rozon » dans la foulée de la vague de dénonciations d’inconduites sexuelles #moiaussi. Or, Me Ménard persiste et signe : la plaignante n’a aucun « motif oblique » dans ce dossier. Si elle a décidé de porter plainte, presque 40 ans plus tard, c’est parce que sa fille avait le même âge qu’elle au moment des faits, explique-t-il.

Le procureur de la Couronne a rappelé qu’il était « irréaliste » de demander à une victime de se souvenir des moindres détails connexes à une agression, après quatre décennies. La défense lui reproche en effet ses contradictions au sujet du last call de fin de soirée à la discothèque ou le nombre de boutons sur sa chemise.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Gilbert Rozon à son arrivée au palais de justice de Montréal

« En fait, je vous propose qu’en expliquant clairement ce qu’elle se rappelle et ce qu’elle ne se rappelle pas, [la plaignante] démontre sa sincérité. […] Si la plaignante avait immédiatement répondu “cinq boutons”, est-ce que c’est crédible, un niveau de précision aussi élevé avec des mini-détails après 40 ans ? », a dit MMénard. Notons que Gilbert Rozon semble avoir gardé un souvenir très vif des évènements, notamment au sujet de la luminosité dans la chambre le matin.

La juge Mélanie Hébert rendra sa décision le 15 décembre prochain. Des membres du collectif Les Courageuses et des manifestantes ont de nouveau accueilli Gilbert Rozon à son arrivée au palais de justice.