Le départ à la retraite prématuré de la directrice des poursuites criminelles et pénales (DPCP) du Québec, MAnnick Murphy, alimente les conversations depuis qu’elle en a fait l’annonce, par un bref courriel, à tous les procureurs et employés du service la semaine dernière.

Le fait d’avoir choisi le jour de l’élection présidentielle américaine pour annoncer sa décision, tout en écrivant « qu’elle allait voir ailleurs si elle y était », ajoute une couche de mystère sur son départ qui intervient en pleine tourmente provoquée par sa plainte contre le directeur général de la Sûreté du Québec, Martin Prud’homme. Celui-ci est toujours relevé provisoirement de ses fonctions depuis et fait face à un processus de destitution, même s’il a été blanchi de toute allégation criminelle.

Dans une lettre envoyée au quotidien Le Devoir publiée mardi, MMurphy explique que la date de son départ, le 2 février prochain, marquera ses 40 ans au service de l’État, que la loi l’oblige à donner un avis de trois mois et que son annonce n’a rien à voir avec l’élection américaine. Elle ajoute que sa décision est personnelle et familiale, et n’est pas liée à l’arrêt du processus judiciaire dans le procès de Nathalie Normandeau et de ses coaccusés, ou à l’affaire Prud’homme. « Je crois avoir plus que rempli mon engagement », écrit-elle, dans son unique sortie publique depuis que l’on sait qu’elle est la plaignante dans l’affaire Prud’homme et l’annonce de son départ, malgré les demandes de La Presse.

Les entrevues que la directrice a accordées depuis six ans se comptent sur les doigts d’une seule main.

« À entretenir des mystères, on cause encore plus de torts », confie une ancienne procureure de la Couronne.

Ironiquement, les procureurs disent de MMurphy qu’elle a beaucoup fait pour moderniser les communications du DPCP. Mais une plus grande accessibilité ou une visibilité accrue du grand patron des 800 procureurs du Québec augmenterait probablement la confiance du public et diminuerait d’autant le cynisme de la population, alimenté par plusieurs échecs majeurs accumulés devant les tribunaux ces dernières années, particulièrement dans les enquêtes sur la corruption et le crime organisé, même si ce n’est pas toujours la faute de la Couronne.

Il y a quelques jours, le chroniqueur Claude Villeneuve, du Journal de Québec, militait pour une plus grande responsabilité du poste de directeur du DPCP et écrivait croire que le moment était venu de dresser le bilan de cette institution, après 13 ans d’existence.

Une Couronne affaiblie

Car il faut l’écrire, et ce, sans accabler la directrice actuelle pour tous les maux, la poursuite au Québec a déjà connu des jours plus heureux. Les procureurs sont des professionnels, ils se battent toujours pour leurs dossiers et continuent de remporter des victoires, mais dans les procès d’aujourd’hui, surtout ceux du crime organisé, qui sont souvent marqués par des guerres de tranchées avec la défense sur des considérations d’ordre technique, les procureurs ne se sentent pas toujours appuyés par leurs patrons. Certains se sont même sentis trahis. Le moral a déjà été meilleur.

En juin dernier, La Presse a révélé que le Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales, spécialisé dans la lutte contre le crime organisé, avait été touché par une vague de départs, que les embauches étaient difficiles, et qu’il se retrouvait aujourd’hui avec plusieurs procureurs plus jeunes et fougueux, mais moins expérimentés face à des avocats de la défense aguerris et redoutables. Sans compter les reproches de microgestion et d’absence d’autonomie professionnelle.

Les relations entre les enquêteurs de la lutte contre le crime organisé et les procureurs seraient devenues plus rigides, et la plainte portée par MMurphy contre le chef du plus important corps de police de la province et le principal partenaire du DPCP n’a rien fait pour améliorer la situation. Des ponts devront être rebâtis.

Questionnée sur le départ à la retraite de MMurphy, la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a annoncé le déclenchement prochain du processus de remplacement de la directrice du DPCP.

La Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales prévoit que la personne choisie doit avoir exercé le métier d’avocat durant au moins 10 ans. Elle devra ensuite figurer sur une liste établie par un comité de sélection et sera nommée par les deux tiers des élus de l’Assemblée nationale.

La grande majorité des directeurs permanents et intérimaires qui ont été patrons du DPCP depuis sa création en 2007 provenaient des rangs des procureurs de la Couronne, et le passé démontre qu’en cas de départ, le rôle échoit généralement à l’adjoint.

Des sources questionnées par La Presse ces derniers jours se demandent toutefois si le successeur de MMurphy ne devrait pas provenir de l’externe, augmentant ainsi le bassin de candidats potentiels plus expérimentés, qu’ils connaissent la culture du DPCP ou non, et qui, dans ce second cas, pourraient être appuyés par un bon adjoint ou une bonne adjointe issu de l’organisation.

Ces dernières années, la Couronne a rajeuni, ses rangs ayant été dégarnis par la nomination de juges ou par les nombreux départs de procureurs expérimentés partis sous d’autres cieux ou à la retraite.

Certaines sources se demandent même si le futur chef du DPCP ne pourrait pas être issu des rangs de la magistrature.

Il faut « une tête forte et non pas un yes-man, une personne qui a de la prestance, une grande capacité de gestion, qui ne va pas privilégier ses amis, énergique, rassembleuse, meneuse d’hommes et de femmes, qui va imposer le respect, qui fait l’unanimité auprès de la police, de la défense et des tribunaux », selon plusieurs procureurs interrogés par La Presse depuis mardi.

« Ces dernières années, on a un peu trop axé sur le côté chevaleresque de la Couronne. Il faut maintenant quelqu’un qui a du chien », nous a-t-on dit.

La loi stipule que le mandat du directeur des poursuites criminelles et pénales est de sept ans. MMurphy aura été celle qui a occupé le poste le plus longtemps, soit plus de six ans et demi, si on inclut l’intérim qu’elle a assuré en 2014. Parmi les procureurs, certains se demandent si un mandat d’une telle durée – qui n’a encore jamais été terminé depuis la création du DPCP en 2007 – n’est pas trop long. « Ce sont des fonctions qui usent », conclut une source.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Des candidats potentiels

MVincent Martinbeault

Barreau 1986, il est actuellement l’adjoint de MAnnick Murphy. Au milieu des années 2000, il avait piloté le dossier d’une entreprise reconnue coupable, pour la première fois au Canada, de négligence criminelle ayant causé la mort à la suite d’un accident de travail survenu à Oka.

MMarlène Archer

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Marlène Archer

MArcher est arrivée au DPCP en 1997 et y est toujours demeurée. Elle a notamment œuvré à la Chambre de la jeunesse. Elle est la patronne du Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales depuis décembre 2018.

MDenis Gallant

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Denis Gallant

Après avoir débuté à l’aide juridique, MGallant a été tour à tour procureur au Bureau de lutte au crime organisé (BLACO) au Québec, procureur à la Couronne fédérale et patron du Bureau de l’inspecteur général (BIG) de la Ville de Montréal. Il a été à l’Autorité des marchés publics et travaille actuellement au privé.

MBrigitte Bishop

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Brigitte Bishop

Fille d’un ancien policier de la Gendarmerie royale du Canada, MBishop a été l’une des pionnières dans la lutte contre les motards au Québec et les procédures de confiscation des bunkers des Hells Angels. Elle est actuellement à la tête du Bureau de l’inspecteur général (BIG) de la Ville de Montréal.

MFrançois Brière

MBrière a œuvré durant 34 ans au DPCP et a été procureur en chef au BLACO. Il a notamment été impliqué dans les procédures contre des Warriors après la crise d’Oka en 1990. Il est actuellement procureur-chef de la cour municipale de Laval et procureur-conseil de la police de Laval.

MRené Verret

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René Verret

Procureur de la Couronne depuis 1988, MVerret, qui a surtout œuvré à Québec, a piloté plusieurs procès devant jury, tous gagnés, dont le second procès de Guy Turcotte. Il a enseigné à l’École du Barreau et a été formateur à l’École des poursuivants du DPCP. Il a été porte-parole du DPCP de 2011 à 2017 et travaille actuellement dans le privé.

MPierre Goulet

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Pierre Goulet

Arrivé au DPCP en 1992, MPierre Goulet a été affecté au défunt BLACO en 2008. Il est devenu procureur en chef adjoint du BLACO en 2011 et est parti peu après la création du Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales en 2016. Depuis la fin de 2019, il est le patron du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI).

MMartin Chalifour

Avocat depuis 2003, il a fait partie de l’équipe des procureurs affectés aux procédures des superprocès SharQc et a coreprésenté la poursuite dans la cause d’un proxénète reconnu coupable après 18 jours de délibération, l’une des plus longues de l’histoire judiciaire du Canada. MChalifour est actuellement procureur en chef du bureau du DPCP à Montréal.