« J’ai accepté mon sort », lâche Gilbert Rozon. Ce matin-là, une jeune femme « weird » au comportement « étrange » a commencé à « se faire l’amour » sur lui pendant son sommeil. « Je me suis laissé faire. J’ai pris mon plaisir », résume-t-il dans un étonnant récit aux antipodes de celui de la plaignante à son procès pour viol et attentat à la pudeur.

Le témoignage très attendu de l’ancien dirigeant de Juste pour rire Gilbert Rozon a été tout aussi percutant que celui de son accusatrice, mercredi après-midi au palais de justice de Montréal. L’homme de 65 ans a fermement nié avoir agressé sexuellement la femme de 20 ans au terme d’un rendez-vous galant à l’été 1980 dans les Laurentides.

Ses souvenirs extrêmement détaillés de cette soirée, même quatre décennies plus tard, contredisent presque en tous points le récit de la victime alléguée. La femme de 60 ans a raconté avec aplomb mardi avoir été agressée sexuellement par Gilbert Rozon en se réveillant le matin à la suite d’un rendez-vous décevant. Elle avait repoussé ses avances à deux reprises la veille, dans la voiture, puis dans le salon, lorsque le jeune homme s’était « jeté » sur elle pour la déshabiller.

Gilbert Rozon décrit plutôt une soirée agréable à la discothèque avec une femme à l’intérêt « palpable ». C’est pourquoi il l’a invitée à prendre un dernier verre dans la maison – vide – d’une amie à Saint-Sauveur. Il a alors démarré un feu de foyer pour mettre une atmosphère « plus romantique ». Ils ont ensuite commencé à se caresser et à s’embrasser, en glissant du divan jusqu’au sol pour se retrouver devant la cheminée, toujours selon l’accusé.

Sauf que lorsqu’il a commencé à glisser sa main sous la robe de la jeune femme, celle-ci s’est « immédiatement contractée » et lui a dit « non ». Gilbert Rozon a été surpris par cette « réaction brutale » et a mis fin à leurs échanges. « Ça m’a désenchanté. […] Elle était peut-être choquée que je n’étais pas aussi radical que ça », dit-il. Jamais, jure-t-il, il n’a déchiré sa robe ou arraché ses boutons.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Gilbert Rozon au palais de justice de Montréal

Gilbert Rozon et la plaignante sont alors allés se coucher dans des chambres différentes. Puis, « aussi étonnant que ça puisse sembler », l’accusé s’est réveillé vers 7 h du matin avec la jeune femme à « califourchon » sur son corps, en train de lui « faire l’amour ». Ils étaient « déjà dans l’action » à son réveil. Elle portait toujours sa robe, mais avait retiré son soutien-gorge, précise-t-il.

« J’ai été plus que surpris. Les vrais mots qui me sont venus à la tête : elle est ben weird. Elle regardait au loin. Je me demande si elle se faisait l’amour. Elle regardait par en avant en se faisant l’amour sur moi. C’était étrange comme comportement. C’est la vérité. C’est ce que j’ai vécu », a-t-il témoigné.

« Je me suis laissé faire, j’ai pris mon plaisir. J’étais tellement étonné que ça a gâché mon plaisir. Ça s’apparente à une sorte de masturbation. […] J’ai accepté mon sort, parce que ça m’arrangeait », a-t-il poursuivi.

Gilbert Rozon n’a pas voulu « briser le charme » du moment en touchant les seins de la plaignante, puisqu’il avait l’impression qu’elle « vivait quelque chose de très personnel ». « Je n’ai pas voulu péter son ballon, ça m’aurait paru disgracieux », ajoute-t-il.

Ce récit inverse carrément les rôles entre la plaignante et l’accusé. En effet, la plaignante a raconté sous serment la veille s’être réveillée ce matin-là avec Gilbert Rozon au-dessus d’elle dans le lit.

« Il était déterminé à avoir des relations sexuelles », a-t-elle dit. Sans énergie et sans force, elle soutient s’être « laissé faire », mais n’avoir jamais consenti à la relation sexuelle. « C’est sûr que ce n’est pas ça que je voulais ! C’est sûr ! », a-t-elle martelé mercredi en contre-interrogatoire.

Hantée par la honte 40 ans plus tard

La gorge nouée, la femme de 60 ans a confié vivre toujours avec la « honte », 40 ans plus tard. « La culpabilité et la honte, quand on est une victime, ça ne devrait pas nous appartenir. Moi, j’ai honte, j’ai honte de m’être laissé faire… de ne pas m’être défendue plus… C’est en moi ça, mais ce n’est pas moi qui dois avoir honte », a-t-elle soufflé, la voix nouée.

En repensant aux évènements de l’été 1980, elle estime s’être fait « piéger » par Gilbert Rozon ce soir-là. « J’étais naïve. Il y avait une intention, un piège », a-t-elle conclu.

Seule autre témoin de la Couronne, une ancienne collègue de la plaignante en 1980 s’est remémoré une discussion avec celle-ci au lendemain de son rendez-vous avec Gilbert Rozon. « Elle m’a répondu qu’elle avait dû se débattre et qu’elle en a perdu sa petite culotte », a raconté la femme. Cette histoire était même devenue un « running gag » au bureau.

« La morale de l’histoire, on ne fait pas un tour d’auto avec Gilbert Rozon ou c’est à nos risques et périls », a-t-elle conclu.

Le contre-interrogatoire de Gilbert Rozon, mené par MBruno Ménard, se poursuit jeudi matin devant la juge Mélanie Hébert. L’accusé est défendu par MPierre Poupart et MIsabel Schurman.