Enregistré à son insu par un micro que la police avait installé chez lui, à Nicolet, le membre des Hells Angels Claude Gauthier a discuté de kilogrammes de cocaïne avec deux autres personnes, le 14 novembre 2018.

C’est du moins la conclusion à laquelle en est arrivé un expert en trafic de drogues du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), après avoir entendu la conversation présentée vendredi au procès du motard de 52 ans accusé de gangstérisme, de complot et de trafic de cocaïne.

« Heille, nous autres, on en prend trois, lui crisse, si y passe [incompréhensible], si y passe une dizaine de pal… une dizaine de paquets. Ciboire, si y passe, ben ça part toute là », a dit Gauthier, selon une transcription de l’écoute.

« Un paquet ou un pal, c’est un kilogramme de cocaïne. Passer une dizaine de paquets, cela signifie vendre dix kilogrammes. Un des individus dans la conversation dit : “Lui, y en passe dix paquets et moi juste trois.” Il n’a pas l’air content. Il semble y avoir un malentendu », a expliqué le sergent-détective Martin Bernard, considéré comme un expert du milieu du trafic de la drogue (consommation, fabrication, prix et jargon).

Sans savoir qui étaient les interlocuteurs, le policier a écouté une quarantaine des 20 000 conversations interceptées dans le cadre du projet Orque, à l’issue duquel Gauthier a été arrêté et accusé l’an dernier.

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Claude Gauthier

Parmi ces conversations, il en a interprété une longue tenue par des coaccusés de Gauthier, Pascal Facchino, Todd Bissett et Denis Savoie, chez ce dernier, le 18 octobre 2018.

« L’un d’eux dit : “Je le paye 51-52.” Cela veut dire qu’il paye le kilogramme de cocaïne 51 ou 52 000 $. Ils disent qu’ils passent “deux paquets et 60 pucks par mois”. Cela signifie qu’ils écoulent 2 kilogrammes et 60 onces par mois. [Toute cette partie] de la conversation porte sur le nombre d’onces vendues chaque mois. Ça donne deux et demi à trois kilogrammes par mois. Ils font une projection des ventes », a décrit l’enquêteur Bernard.

Gauthier est le seul de tous les accusés du projet Orque à ne pas avoir plaidé coupable avant procès.

La preuve contre le motard est circonstancielle. Des liasses de billets totalisant 3000 $ ont été trouvées chez lui. La preuve de la poursuite, assurée par MIsabelle Poulin et MMarie-France Drolet, repose aussi sur des contacts entre Gauthier et un coaccusé, aspirant des Hells Angels à l’époque, Pascal Facchino.

En contre-interrogatoire, MMylène Lareau – qui est accompagnée de MAnnie Lahaise – a réussi à faire dire au témoin que dans une conversation, un suspect parlait de « run » de lavage à pression, et non de drogue. Elle a notamment questionné l’expert sur les liasses de billets et le mot « enveloppe ». Le contre-interrogatoire se poursuivra lundi.

Prix stable depuis 20 ans

Durant son témoignage, l’enquêteur Bernard a aussi fourni des informations générales sur le trafic de cocaïne au Québec.

Entre autres, il a déclaré que cela fait plus de 20 ans que le prix d’un quart de gramme de cocaïne ou d’une roche de crack dans la rue est de 20 $.

Selon lui, même si cela fait 50 ans que le Canada est passé au système métrique, le terme « once » est encore utilisé dans le milieu des stupéfiants en raison de la proximité avec les États-Unis, qui utilisent encore le système impérial.

Il a ajouté que bon an, mal an, le prix du kilogramme de cocaïne est d’environ 50 000 $, mais qu’il varie de 10 000 $ à la hausse ou à la baisse en fonction de divers facteurs – l’accès direct ou non au producteur (puisque les intermédiaires peuvent entraîner des coûts supplémentaires), l’importance de la « taxe » exigée par l’organisation qui contrôle un territoire, ou le fait qu’une rafle policière a pu nuire à l’approvisionnement, par exemple.

Le sergent-détective Bernard a affirmé que la pandémie a fait grimper le prix du kilogramme jusqu’à 78 000 $, mais que celui-ci génère encore dans la rue des ventes de 120 000 $. « Le profit est donc toujours là », a-t-il dit.

Martin Bernard a souligné que la qualité de la cocaïne retrouvée au Québec varie de 55 à 92 %.

« Lorsqu’une personne a accès à des kilogrammes de cocaïne, cela signifie qu’elle est très haut dans la hiérarchie d’une organisation. Les gens qui font la coupe ont accès aux têtes dirigeantes », a-t-il précisé.

« Dans le milieu des stupéfiants, les gens ont des jargons propres à eux, selon leur territoire ou la région où ils ont grandi. Ils parlent constamment à mots couverts, au cas où ils seraient écoutés par la police. Même dans leurs affaires personnelles, ils ne disent pas les vraies choses. Cela devient un réflexe, une seconde nature », a affirmé l’expert.

« Les premiers du mois, en une seule journée, les trafiquants peuvent vendre autant de stupéfiants qu’en une semaine », a-t-il ajouté, en interprétant une autre conversation.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Le lexique des trafiquants, selon l’expert

Paquet, pal, palette, bloc, brique, book, livre, cake : un kilogramme de cocaïne

Du blanc, de la poudre, poussière, neige, flakie : de la cocaïne

Du mou, du M : de la cocaïne en poudre

Du dur : du crack

Puck ou rondelle : once de cocaïne (28 grammes)

Du papier : de l’argent

Machine : appareil servant à envoyer des messages cryptés

Nine pack : quart de kilogramme, car il contient neuf onces

Bonbons, peanuts : comprimés de méthamphétamine

Run : réseau ou route de stupéfiants

Runner : vendeur, commissionnaire ou transporteur

Enveloppe : paie ou quote-part à l’organisation

Faire les groceries : se ravitailler en stupéfiants

Du stock : des stupéfiants

Faire une clé : sniffer