(Ottawa) Deux femmes qui travaillaient pour l’ancien sénateur Don Meredith affirment que le processus indépendant établi par le Sénat pour déterminer l’indemnisation des victimes du harcèlement de M. Meredith est « totalement inacceptable » et les victimise à nouveau.

Les deux femmes se sont entretenues avec La Presse canadienne en compagnie de leur avocat, Brian Mitchell. Elles n’ont pas été nommées publiquement et se sont exprimées sous le couvert de l’anonymat pour préserver leur vie privée en tant que victimes de harcèlement et d’abus.

Elles ont déclaré qu’elles se sentent intimidées pour qu’elles participent à un processus d’indemnisation qu’elles jugent injuste et opaque.

« C’est honteux pour le Sénat, a lancé l’une des femmes. Ils continuent de se qualifier d’honorables membres et, pour moi, tout ce processus n’est rien d’autre que déshonorant. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRECHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancienne juge de la Cour d’appel du Québec Louise Otis

« Je ne m’engagerai pas dans un processus où je pourrais me faire plus de mal que tout celui que m’a fait subir cette institution. »

La deuxième ancienne employée de Don Meredith a dit être d’accord, affirmant qu’elle avait accepté un emploi au Sénat parce qu’elle croyait en l’importance du travail qui y était effectué.

« Je pense que c’est pour cela que ça fait tellement mal que cette institution que je tenais en très haute estime semble accorder plus d’importance à s’autoprotéger qu’à faire ce qui est juste. »

L’ancienne juge de la Cour d’appel du Québec Louise Otis a été embauchée comme évaluatrice indépendante et a été chargée de discuter avec six anciennes employées du bureau du sénateur Meredith et d’examiner tous les documents de deux enquêtes précédentes sur sa conduite, dont une complétée il y a un an par le conseiller sénatorial en éthique.

Cette enquête a révélé que M. Meredith avait à plusieurs reprises harcelé, menacé et intimidé son personnel et touché, embrassé et fait des propositions à plusieurs reprises à certains d’entre eux.

M. Meredith, qui a été nommé par l’ancien premier ministre Stephen Harper en 2010, a démissionné en 2017 après qu’une enquête distincte a conduit à une recommandation interne selon laquelle il serait expulsé pour une relation sexuelle qu’il avait eue avec une adolescente.

Il n’a fait face à aucune accusation criminelle.

Le puissant comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration a entamé le processus d’évaluation actuel le mois dernier pour déterminer l’« indemnisation potentielle » des anciens employés de M. Meredith.

Ceux qui participent à l’évaluation de la juge Otis ne sont pas autorisés à recourir à des avocats, leurs frais juridiques ne seront pas couverts et le Sénat ne sera pas obligé de se plier aux décisions finales de la juge en matière d’indemnisation, selon des lettres envoyées aux anciens employés par le conseiller juridique du Sénat et par la juge Otis.

Les documents ont été fournis à La Presse canadienne.

« Si nous tenons une réunion par vidéoconférence, vous pouvez être accompagné d’une personne de soutien de votre choix, à condition que la personne ne soit pas un avocat, car il ne s’agit ni d’un procès ni d’une audience judiciaire », indique la lettre de la juge Otis aux employés.

Cependant, s’ils ont des questions ou des préoccupations, les employés sont encouragés à contacter le conseiller juridique du Sénat — un scénario de type « David contre Goliath » selon leur avocat qui estime cela tout à fait injuste.

« Comment peuvent-ils se défendre, comment peuvent-ils témoigner et comment peuvent-ils se représenter alors qu’ils ne jouent pas à armes égales avec l’institution du Sénat ? », a déploré Me Mitchell.

Le sénateur Sabi Marwah, qui préside le comité de Régie interne, budgets et administration, a décliné une demande d’entrevue pour ce reportage.

Dans une déclaration écrite, une porte-parole du Sénat, Alison Korn, a déclaré que le comité avait décidé à l’unanimité du « processus impartial, indépendant et crédible » actuel, qui considérera tous les faits contenus dans le rapport du responsable de l’éthique comme vrais et prouvés.

« (Le comité) a établi son processus après avoir été directement à l’écoute d’anciens employés concernés », a déclaré Mme Korn dans le message.

« Comme le processus est conçu pour être accessible, aucun participant n’est tenu d’avoir un avocat pour y participer. Par respect pour tous les participants et afin de ne pas interférer dans le processus en cours, nous ne ferons pas de commentaires supplémentaires. »

La décision de la juge Otis sur les dommages subis prendra en compte trois autres règlements de harcèlement récents au sein de la GRC, des Forces armées canadiennes et du ministère de la Défense nationale.

Me Mitchell, qui a indiqué qu’il représenterait bientôt deux autres des six victimes, a déclaré que ses clients craignaient que la juge Otis ne soit pas invitée à considérer le devoir du Sénat de les protéger en tant qu’employées.

La semaine dernière, Me Mitchell a envoyé une lettre aux membres du comité de la régie interne décrivant les préoccupations de ses clientes et demandant que le processus soit modifié.

Un avocat du Sénat, Charles Feldman, a répondu que le processus avait été établi pour fournir une réparation aux employés touchés par la conduite de Don Meredith, et que le comité de la régie interne n’était pas tenu de faire quoi que ce soit pour répondre aux conclusions du conseiller en éthique, mais l’a fait de son propre gré.

Les deux femmes affirment que cela leur donne l’impression qu’elles devraient être contentes que le Sénat agisse.

« Vous ne pouvez pas nous faire subir six ans d’attente, nous garder en haleine pendant six ans, puis soudainement dire que le moment est venu et que c’est à prendre ou à laisser », a déclaré l’une des femmes.

Dans une déclaration de regret présentée le mois dernier à la Chambre haute, le sénateur Marwah a affirmé que les actions de M. Meredith méritaient « sans équivoque une sévère condamnation de la part du Sénat et de l’ensemble des sénateurs ».

Les deux anciennes employées n’acceptent pas cela comme des excuses, mais y voient plutôt des sénateurs leur disant qu’ils sont à peine désolés de se sentir mal de ce qu’elles ont vécu, ont déclaré les femmes.

Les employés avaient jusqu’à mardi pour informer la juge Otis s’ils prévoyaient de participer au processus d’évaluation, mais Me Mitchell a soutenu que ses clientes n’y participeront pas à moins que des changements ne soient apportés.

« Je ne veux pas qu’ils se tapotent dans le dos et disent : “Regardez l’excellent travail que nous avons fait.” Et je ne veux pas que ce processus devienne soudainement un précédent pour les futures victimes d’autres bureaux », a déclaré l’une des femmes.

« Il est hors de question que ce processus puisse être accepté en 2020 et c’est aussi une gifle pour les futures victimes », a déclaré l’autre femme.