La Cour martiale est-elle un tribunal entièrement indépendant et impartial ? Non, puisque les juges militaires ne sont pas à l’abri d’accusations disciplinaires et demeurent ainsi soumis aux pressions de leurs supérieurs, plaide un avocat dans une requête qui fait écho au récent fiasco du procès du juge militaire en chef.

« Les juges militaires continuent d’être des officiers des Forces canadiennes. Ils ont un double chapeau. Ça les met sur un siège éjectable, puisqu’ils sont assujettis à notre code de discipline militaire », résume en entrevue le capitaine de corvette Éric Léveillé, avocat de la défense des Forces armées canadiennes.

Dans l’univers parallèle de la justice militaire, c’est un pavé dans la mare que lance MLéveillé dans une requête qui sera plaidée ce lundi devant la Cour martiale à Gatineau. Comme sa cliente ne peut pas être jugée devant un tribunal indépendant et impartial, ses droits fondamentaux sont bafoués et les procédures à son endroit doivent cesser. L’avocat militaire demande ainsi que soient rendus inopérants des articles de la Loi sur la défense nationale.

La capitaine Crépeau, membre du 35groupe-brigade du Canada, fait face à la justice militaire pour avoir désobéi à un ordre d’un supérieur, avoir eu un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline et s’être conduite de façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.

L’affaire remonte à 2018 lors de la mission Trident en Norvège, exercice militaire de l’OTAN d’une ampleur jamais vue depuis la guerre froide. La militaire québécoise, qui était alors techniquement sous-lieutenante, aurait porté l’insigne du grade de capitaine. Son geste aurait ainsi semé la confusion par rapport à son lien hiérarchique avec son supérieur immédiat.

Pas d’« inamovibilité judiciaire »

Essentiellement, Me Éric Léveillé plaide que les juges militaires ne peuvent être entièrement impartiaux, puisqu’ils peuvent été accusés par un supérieur hiérarchique, ce qui met en péril leur « inamovibilité judiciaire », l’un des piliers de l’indépendance d’un juge, selon la Cour suprême.

Cette situation crée dans les faits une « perception d’ingérence du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire », avance l’avocat militaire. C’est l’équivalent dans le monde civil, illustre-t-il, du procureur général du Québec qui permettrait à un sous-ministre de déposer des accusations contre un juge civil. Un strict processus indépendant encadre le dépôt d’accusations criminelles contre un juge civil, par exemple dans le cas du juge Jacques Delisle, accusé en 2010 du meurtre de sa femme.

Il existe une crainte raisonnable que les juges militaires puissent être partiaux. Leur inamovibilité n’est pas suffisamment protégée. Ils sont sujets aux pressions de la hiérarchie militaire, parce qu’ils sont justiciables du code de discipline militaire en tout temps.

Me Léveillé dans sa requête déposée la semaine dernière

Les récents démêlés judiciaires du juge militaire en chef, le colonel Mario Dutil, démontrent justement ce principe, selon Me Léveillé. Le juge a été accusé par la hiérarchie militaire, même si le Comité d’enquête sur les juges militaires n’a pas recommandé sa révocation. Un exemple « concret » des effets réels d’une accusation portée contre un juge militaire, ajoute-t-il, puisque le colonel Dutil ne pouvait plus siéger.

Cette affaire sans précédent a ébranlé les colonnes de la justice militaire. Le juge militaire en chef a été accusé en 2018 d’avoir eu une relation inconvenante avec une subalterne, même si la relation était consensuelle, et d’avoir rempli une fausse réclamation de dépenses.

Les Forces armées soulignaient à l’époque que « personne n’est au-dessus des lois ». Or, l’affaire a fini en queue de poisson avant la pandémie. Le procès du juge militaire en chef a avorté lorsque son ancien bras droit et ami de longue date, le lieutenant-colonel Louis-Vincent d’Auteuil, juge militaire en chef adjoint, s’est récusé de la cause. Les accusations ont tout simplement été retirées en mars dernier par le Directeur des poursuites militaires.