Une juge du Tribunal administratif du Québec (TAQ) risque la destitution en raison de ses retards chroniques, une première au Québec. Manque de rigueur, comportement répréhensible, absence d’autocritique : la juge Kathya Gagnon « s’entête à exercer son indépendance judiciaire d’une manière abusive », conclut un rapport d’enquête au vitriol.

« Si elle n’a pas compris après toutes ces années, il est difficile de conclure qu’elle comprendra un jour. De toute évidence, elle ne possède pas la capacité de s’amender requise pour rétablir la confiance du public en l’institution », a tranché le comité d’enquête du Conseil de la justice administrative, le 19 mai dernier, en recommandant la destitution de la juge administrative. Le comité avait conclu l’an dernier que Me Gagnon avait contrevenu à son code de déontologie et à la Loi sur la justice administrative.

Nommée au TAQ en 2008, la juge Gagnon s’est mise à accumuler des retards abyssaux pour rendre ses décisions, lorsqu’elle siégeait à la Commission d’examen des troubles mentaux en 2010. Ce tribunal se consacre aux accusés déclarés inaptes à avoir leur procès ou non responsables pour troubles mentaux.

Deux ans plus tard, la juge Gagnon n’avait toujours pas rédigé les motifs de ses décisions dans 95 % de ses 447 dossiers, alors que le délai maximal est de trois mois. Il lui faudra plus de deux ans sans audition pour finalement rattraper son retard accumulé. 

Une situation « très en deçà » du comportement acceptable d’un juge, bien que sa charge de travail soit « exigeante ».

À son retour à la Section des affaires sociales du TAQ, en 2014, ses supérieurs l’avisent que ses retards ne seront plus tolérés. Elle entend alors des causes entre autres en matière d’aide sociale, de pension et de sécurité routière. Or, ses retards « systématiques » se poursuivent. Après seulement six mois, elle n’a toujours pas rendu ses décisions dans 17 dossiers et omet souvent de demander une prolongation de délai. Citoyens et avocats s’inquiètent de ses retards.

Mais la juge administrative se sent « ostracisée » par ses patrons et les autres juges, après que certains d’entre eux eurent fait part de leur mécontentement. Me Gagnon est aussi convaincue qu’on lui impose les dossiers « les plus difficiles » pour pouvoir la « prendre en défaut ».

Elle justifie ses retards par le stress de ne pas « savoir à qui s’adresser pour régler les problèmes » et jette le blâme sur ses « trous de mémoire » et sur son adjointe. La juge se dit « incapable de tourner les coins rond » et refuse de rédiger des motifs abrégés.

Excuses rejetées

Le comité d’enquête rejette les excuses de la juge administrative et écorche sévèrement son comportement, lequel menace l’intégrité de l’institution et la confiance du public. Ses fautes sont si graves et si répétées depuis des années qu’il est « improbable » que Me Gagnon continue d’exercer ses fonctions, conclut le comité.

« Malgré le suivi serré, l’accompagnement et le soutien que lui offre le Tribunal, elle fait preuve d’un manque constant de méthodologie et de rigueur, d’un comportement répréhensible récurrent par ses retards et son absence de demandes de prolongations, sans jamais démontrer de volonté sérieuse de corriger sa façon d’agir ; d’une absence totale d’autocritique, n’admettant jamais sa responsabilité pour ses retards », énumère le rapport.

Le comité d’enquête du Conseil de la justice administrative n’avait encore jamais recommandé de destituer un juge pour une faute déontologique. Mais cette sanction exceptionnelle était nécessaire pour « rétablir la confiance du public dans le système de justice », soutient le comité. Le sort de la juge est maintenant entre les mains de la ministre de la Justice, Sonia LeBel, qui « analyse » le dossier.

« Une grande erreur », selon l’avocat de la juge

Suspendue le 25 mai dernier, la juge a déjà demandé une révision judiciaire de la décision sur culpabilité et a l’intention de faire de même pour sa sanction. Elle prévoit aussi écrire à la ministre de la Justice, a indiqué son avocat Me Bruno Lévesque. « La destitution de la juge Gagnon constituerait à mon avis une grande erreur puisque le problème n’est pas la juge, mais bien le fonctionnement du TAQ », a-t-il commenté.

MLévesque souligne que sa cliente a dû déposer une seconde plainte en harcèlement psychologique en 2018, après le règlement de sa première plainte.