Tout est à refaire dans le processus d’extradition de deux Québécois piégés par un agent double américain et accusés aux États-Unis d’avoir organisé un complot international de trafic d’armes à feu à partir de Montréal et de Buffalo. La Cour d’appel du Québec a ordonné la remise en liberté de Guy Deland et de Charan Singh, annulant du même coup l’ordonnance d’extradition signée par Ottawa.

« C’est une très grande victoire. C’est très rare qu’on gagne les deux appels dans un dossier d’extradition. On recommence à zéro le processus », s’est réjouie MMarie-Hélène Giroux, l’avocate de Guy Deland, un résidant de Pierrefonds. Cette décision de la Cour d’appel ne met cependant pas fin à la demande d’extradition de nos voisins du Sud.

Les États-Unis veulent mettre la main sur les deux Québécois depuis trois ans pour qu’ils puissent être jugés dans l’État de New York pour des accusations liées à une tentative d’exportation d’armes à feu. Celui qui serait leur patron, le Canadien Aydan Sin, a d’ailleurs plaidé coupable dans cette affaire l’an dernier aux États-Unis.

Piégés par des agents d’infiltration

Selon les autorités américaines, Guy Deland et Charan Singh auraient tenté d’exporter aux Émirats arabes unis et en Colombie des dizaines d’armes à feu, dont des mitraillettes Uzi, des pistolets semi-automatiques Glock et des munitions, en sachant qu’il était illégal de le faire sans permis.

Dans cette affaire digne d’un film d’espionnage, qui s’est notamment déroulée à Montréal, les deux accusés et Aydan Sin se sont fait piéger par des agents d’infiltration du département de la Sécurité intérieure (Homeland Security). L’agence avait créé une entreprise fictive spécialisée dans la vente et l’importation d’armes contrôlées à Buffalo, dans l’État de New York.

En novembre 2016, Charan Singh serait entré en contact avec un employé de l’entreprise fictive – un agent d’infiltration de la Sécurité intérieure – pour obtenir des renseignements sur la façon d’acquérir et d’exporter des armes contrôlées vers Dubaï, aux Émirats arabes unis. 

À plusieurs reprises, Charan Singh se serait informé auprès de l’agent sur la possibilité de réaliser la transaction sans avoir les permis nécessaires.

L’agent d’infiltration aurait demandé environ 100 000 $ US pour la commande d’armes contrôlées à exporter, mais Charan Singh lui aurait proposé des « frais de service » de 26 000 $ US pour agir « de la mauvaise façon » [the wrong way]. Les deux Québécois auraient d’ailleurs rencontré l’agent de la Sécurité intérieure au Centre Sheraton à Montréal.

Selon les autorités américaines, l’agent aurait martelé que la demande des deux hommes était illégale, mais ceux-ci auraient insisté pour payer des « frais de service » pour conclure la transaction sans permis d’exportation. Ils auraient alors fourni un appareil BlackBerry crypté à l’agent pour communiquer avec lui. En février 2017, Guy Deland aurait transféré 70 000 $ US, soit la moitié du prix convenu, dans un compte bancaire de l’agent pour conclure la transaction.

Retour à la case départ

Arrêtés à l’été 2017, les deux Québécois ont été détenus en mai 2018 en attente de leur extradition, alors que la ministre fédérale de la Justice de l’époque avait ordonné leur remise aux États-Unis à l’automne 2018. Or, il faut retourner à la case départ, puisque le plus haut tribunal de la province a annulé la décision de la Cour supérieure d’incarcérer les deux hommes pendant le processus.

Selon la Cour d’appel, le juge de première instance a fait une mauvaise interprétation de la Loi sur l’extradition en rejetant les demandes de divulgation de preuves additionnelles des deux accusés. Ceux-ci avaient le droit d’obtenir la preuve obtenue à Montréal par l’agent d’infiltration américain afin de vérifier son admissibilité, a tranché la Cour d’appel, le 20 mai dernier.

« Le fait que le dossier d’extradition ne contient pas la moindre indication relative aux procédures ou autorisations préalables à la cueillette de la preuve en sol canadien par un policier d’un pays étranger soulève une possibilité raisonnable que la preuve recueillie ne l’ait pas été en conformité avec le droit canadien », soutient le plus haut tribunal de la province.

Ainsi, la Cour d’appel renvoie le dossier en Cour supérieure et ordonne la divulgation des autorisations obtenues pour permettre à l’agent américain de recueillir de la preuve au Canada. Cette décision annule donc en pratique la décision de la ministre de la Justice d’ordonner l’extradition des deux hommes.

Les juges écorchent l’ex-ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould dans leur conclusion. Selon eux, la ministre a commis une erreur « manifeste et déraisonnable » en refusant de répondre aux observations des deux accusés sur le chef de blanchiment d’argent.