L’État québécois a envoyé 45 millions de dollars à un individu qui se présentait comme vendeur de matériel médical, mais communiquait avec une adresse de messagerie générique au nom d’une compagnie de matériaux de construction.

Patrick Ledoux – l’homme soupçonné d’avoir vendu à Québec un lot fictif de 5 millions de précieux masques N95 — a exercé pendant plusieurs jours une pression constante pour faire débloquer les fonds, indiquent les courriels qu’il a échangés avec des fonctionnaires et que La Presse a pu consulter.

En outre, il avouait candidement n’avoir jamais fait affaire avec l’État auparavant.

Selon deux experts, ces communications auraient dû mettre la puce à l’oreille des fonctionnaires.

Début avril, M.  Ledoux a indiqué au gouvernement qu’il avait accès à des millions d’exemplaires des fameux masques N95. Il se présentait comme président de Matériel Médical L. A., un nom d’entreprise enregistrée quelques jours plus tôt, mais communiquait avec une adresse @live.ca au nom de Dimex, une entreprise de vente de matériel de construction dont il est aussi propriétaire.

Pendant deux semaines, la Banque TD et Desjardins ont gelé les fonds, jusqu’à ce que le CHU de Québec, l’organisme qui avait passé la commande, obtienne que la justice ordonne le retour de l’énorme montant. M.  Ledoux avait utilisé un faux document pour prouver que son fournisseur disposait de masques N95 fabriqués par 3M, le leader du secteur.

Conjuguer urgence et prudence

En entrevue, l’ex-inspecteur général de la Ville de Montréal Denis Gallant a indiqué que les fonctionnaires auraient dû s’apercevoir beaucoup plus tôt que quelque chose clochait.

« J’en reviens tout simplement pas : on n'a pas de fait de vérification de l’entreprise et on lui transfère 45 millions de dollars », a-t-il dénoncé. « J’ai travaillé longtemps pour l’État et j’ai toujours dit que ça ne nous appartenait pas cet argent-là, on est fiduciaire de l’argent public. Même si les contrôles habituels sont moins stricts parce qu’on a besoin de masques d’urgence, ça n’empêche pas de faire une vérification diligente minimale. »

Messaoud Abda, expert en criminalité financière, a fait valoir que l’enregistrement du nom de l’entreprise quelques jours seulement avant la transaction aurait dû constituer une première alerte.

« Même dans l’urgence, il faut faire preuve de prudence », a-t-il affirmé en entrevue téléphonique. « Vu le montant, on va demander des références, de banquiers par exemple. On aurait découvert qu’il y a un problème. »

Patrick Ledoux n’a pas rappelé La Presse.

Dans une procédure déposée fin avril par son avocat, il se défend d’être malhonnête et se présente comme « un entrepreneur qui a un réseau d’affaires à l’international et qui possède une expérience dans l’importation de marchandises en provenance de Chine ». Le document indique qu’il voulait « contribuer à satisfaire l’urgent besoin de masques N95 ».

Le CHU de Québec a référé La Presse à son communiqué de jeudi dans lequel il vante ses filets de sécurité qui « ont permis d’agir de façon diligente et proactive, même en ce contexte de pandémie où malheureusement les risques sont accrus ».