(Ottawa) Une femme accusée d’espionnage pour le compte de la Russie se défend en disant qu’elle n’a pas nui aux intérêts du Canada, bien au contraire.

Elena Crenna demande à la Cour fédérale d’infirmer une décision d’une arbitre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada l’expulsant du pays à la suite d’événements survenus il y a plus de deux décennies.

Une audience à ce sujet se déroulera mercredi à Ottawa.

Cette saga commence en 1994 lorsque le Canadien David Crenna embauche Elena Filatova — qui deviendra sa femme — comme interprète et relationniste d’un projet immobilier humanitaire à Tver, en Russie.

L’objectif du projet était de former des Russes à construire des maisons en bois à une époque où le pays tentait d’instaurer une économie de marché après plusieurs décennies de communisme.

Un agent du FSB, une agence de renseignement russe, l’a contactée pour lui poser des questions au sujet de ce projet. David lui a donné la permission de dire à cet agent tout ce qu’il voulait savoir au nom de la transparence. Elena et cet agent se sont rencontrés sept fois au cours des années subséquentes.

En août 1994, David et Elena ont entrepris une relation amoureuse qui a pris fin en 1996. Douze ans plus tard, leurs chemins se sont recroisés et ils se sont mariés en 2012.

Dans l’intervalle, Elena avait déménagé en Californie pour y travailler comme infirmière. Elle avait obtenu la citoyenneté américaine en 2004.

Elle jure qu’elle n’a jamais eu en sa possession des informations secrètes sur le projet Tver. Elle nie aussi avoir secrètement ramassé des documents pour l’espion russe.

Elena s’est installée au Canada en septembre 2013 pour vivre avec David. Parrainée par lui, elle a demandé le statut de résidente permanente.

Les autorités de l’immigration lui ont donné leur aval en 2018, mais le gouvernement fédéral a interjeté appel.

En juin, la section d’appel de l’Immigration a conclu que Mme Crenna avait « commis des actes d’espionnage contraires aux intérêts du Canada » et a délivré un ordre d’expulsion contre elle.

Dans sa décision, l’arbitre Annie Lafleur écrit que certains pourraient considérer les actes d’Elena comme inoffensifs compte tenu du contexte sociopolitique de la Russie postsoviétique des années 90, et elle sympathisait avec le couple. Mais, il faut des repères juridiques « pour préserver l’intégrité du système d’immigration, garantir la sécurité du Canada et, à plus grande échelle, protéger les valeurs fondamentales du Canada ».

Elena, aujourd’hui âgée de 58 ans, est allée vivre chez des proches à Philadelphie en attendant la fin des procédures juridiques, mentionne David Crenna.

Le couple a accueilli la décision avec incrédulité, ajoute l’homme de 75 ans, aujourd’hui en semi-retraite.

« Le bon sens peut encore prévaloir. J’ai bon espoir que ce sera le cas. Mais pour le moment, il est concevable que [la Cour] se dise :’écrasons encore plus ces gens’. »

Dans une déclaration remise à la Cour fédérale à la fin de février, le gouvernement rejette l’argument d’Elena voulant que ses conversations avec l’agent russe étaient banales. Selon lui, « la nature des informations n’est pas pertinente » en matière d’espionnage.

Les renseignements recherchés par l’agent dans le cadre de son travail et relayés par Elena étaient « nécessairement destinés à être utilisés d’une manière ou d’une autre par l’État russe », peut-on lire dans la déclaration.

Dans son dossier auprès de la cour, Elena soutient que le gouvernement fédéral n’a pas démontré que ses actions étaient « contre le Canada » ou « contraires aux intérêts du Canada ».

Elle a plutôt coopéré avec le FSB russe pour s’assurer que le projet de logement, soutenu par la Société canadienne d’hypothèques et de logement et la Banque mondiale, ne rencontre aucune difficulté.

La communication indique que David Crenna était responsable de la « sauvegarde des intérêts supérieurs » du projet et de son personnel canadien, et il a donc décidé qu’Elena devrait répondre aux questions du FSB russe pour rassurer l’agence russe. « C’est tout ce qui s’est passé », peut-on lire dans le document.