(Montréal) Une fonctionnaire qui supervisait la conformité de l’enseignement privé au ministère de l’Éducation a déclaré au tribunal mardi que le gouvernement savait depuis des dizaines d’années que des enfants juifs hassidiques à Boisbriand ne recevaient pas l’éducation laïque exigée par la Loi sur l’instruction publique.

Yochonon Lowen et Clara Wasserstein demandent à la Cour supérieure un jugement déclaratoire contre le gouvernement du Québec, qu’ils accusent de ne pas leur avoir assuré une éducation adéquate, comme le prévoit la loi. Le couple, qui a quitté la communauté ultra-orthodoxe Tash en 2010, soutient qu’il n’a reçu pratiquement aucune instruction laïque alors qu’il fréquentait l’école religieuse privée dirigée par cette communauté hassidique à Boisbriand, au nord de Montréal, dans les années 1980 et au début des années 1990.

Maryse Malenfant, qui était à la Direction de l’enseignement privé au ministère, a admis mardi devant le tribunal qu’elle avait pris conscience dès 2005 qu’aucun des garçons fréquentant les écoles religieuses de la communauté Tash n’était scolarisé selon les normes. Elle soutient que cette situation persistait déjà depuis plusieurs années, mais que la législation en vigueur à l’époque donnait au gouvernement du Québec des pouvoirs limités pour enquêter sur ces cas. À titre d’exemple, les inspecteurs ne pouvaient pas enquêter sans connaître l’adresse exacte de l’école, a-t-elle expliqué.

Interrogée par le juge Martin Castonguay, Mme Malenfant a indiqué que le ministère savait que des enfants ne fréquentaient pas l’école entre 2002 et 2005, mais ne savait pas par ailleurs où ces enfants se trouvaient exactement. Elle a soutenu que c’est à la suite d’une plainte que des fonctionnaires du ministère ont finalement visité en 2009 l’école pour garçons à Boisbriand.

Interrogée par l’avocat du couple, Bruce Johnston, Mme Malenfant a reconnu qu’en 1995, un rapport suggérait déjà que les autorités étaient au fait que la communauté hassidique dirigeait depuis 1980 des écoles religieuses illégales — ou qu’elle n’éduquait pas ses enfants conformément à la loi. Le rapport, qui traitait de la demande de permis pour une école hassidique pour filles, reconnaissait que le ministère de l’Éducation s’efforçait de « régulariser » la situation des enfants de cette communauté depuis l’ouverture de l’école en 1980.

Selon ce rapport, la demande de permis constituait une tentative de corriger la situation d’illégalité dans laquelle se trouvait l’école depuis son ouverture en 1980. Or, on ajoutait que rien n’avait changé pour les garçons des écoles primaires et secondaires hassidiques de la communauté Tash, qui recevaient essentiellement une éducation religieuse.

Dans leur demande introductive d’instance, M. Lowen et Mme Wasserstein affirment qu’ils n’ont reçu pratiquement aucune éducation laïque lorsqu’ils ont fréquenté les écoles religieuses de Tash. Ils soutiennent qu’en raison d’un manque d’éducation et de compétences linguistiques, ils ont du mal à trouver un emploi et à s’intégrer dans la société québécoise depuis leur retrait de la communauté ultra-orthodoxe en 2010.

Enseignement à la maison

Lundi, les avocats du gouvernement et ceux de la communauté Tash ont fait valoir que ces problèmes avaient été depuis résolus, grâce à des modifications apportées à la Loi sur l’instruction publique et à des ententes sur l’enseignement à la maison conclues entre les communautés juives et des commissions scolaires.

Le projet de loi 144, adopté en 2017, a conféré au gouvernement de plus larges pouvoirs pour imposer la fréquentation scolaire obligatoire ; il a aussi obligé les autorités à créer un ensemble de normes pour l’enseignement à la maison. Cette loi a été modifiée par le gouvernement caquiste l’année dernière afin de renforcer les mesures visant à garantir la conformité et obliger les élèves à passer les examens du ministère.

Caroline Kelly, directrice de l’enseignement à la maison au ministère de l’Éducation, a déclaré au tribunal mardi que quelque 830 enfants de la communauté Tash de Boisbriand avaient été inscrits à ce système d’enseignement par le biais de la Commission scolaire Wilfrid-Laurier. Depuis qu’une entente avec cette communauté est entrée en vigueur en 2018, la commission scolaire a embauché trois conseillers à temps plein, a-t-elle dit. Ces conseillers travaillent de concert avec d’autres membres du personnel qui fournissent des ressources et des programmes éducatifs aux familles et rencontrent chacune d’entre elles au moins une fois par année.

Mme Kelly a aussi déclaré que les membres de la communauté hassidique rencontraient régulièrement des représentants de la commission scolaire et du ministère pour discuter des récentes modifications législatives qui prévoient que les élèves scolarisés à la maison devront satisfaire aux exigences minimales dans des matières telles que les langues, les mathématiques, les sciences et les études sociales.

Quelque 1400 élèves scolarisés à la maison dans d’autres communautés hassidiques de la région de Montréal sont aussi inscrits auprès de la Commission scolaire English-Montréal, a précisé Mme Kelly. Les familles hassidiques sont tenues de suivre les mêmes règles que tout autre élève scolarisé à la maison au Québec, a rappelé la directrice de l’enseignement à la maison.

Témoignant à l’audience lundi, Marie-Josée Bernier, de la Direction de la protection de la jeunesse, soutenait qu’une évaluation de l’enseignement prodigué à 320 garçons dans la communauté, en 2014, avait révélé que 280 d’entre eux ne recevaient pas l’instruction requise par la loi : la plupart de ces garçons qui parlaient yiddish étaient notamment incapables d’écrire ou de communiquer en anglais ou en français. La situation s’était nettement améliorée en 2017, a-t-elle dit, mais les connaissances de nombreux garçons étaient toujours inférieures à celles de leurs pairs du même âge.